Théâtre

"Oh les beaux jours", une version NoNo... dans une insolente liberté et une picturale épure

"Oh les beaux jours", Théâtre NoNo, Marseille Provence 2013

S'il est une partition difficile à interpréter - et dont la difficulté se trouve démultipliée par de marquantes précédentes interprétations -, c'est bien celle de Winnie dans "Oh les beaux jours". Marion Coutris et Serge Noyelle se sont laissés happer par cette composition quasi injouable... avec succès, dans une insolente liberté et une picturale épure.



Marion Coutris, "Oh les beaux jours" © Cordula Treml.
Avec "Oh les beaux jours" (et "La Dernière Bande"), Beckett se débarrasse définitivement du théâtre traditionnel, abandonnant la structure puis l'héroïsme du personnage... Il enterre (littéralement pour Winnie) le personnage dans les procédés de l'art du monologue... construit sur un langage singulier à la fois comique et torturé initiant une poétique de la cruauté qui puise ses vers dans l'attente (de la fin !) et rime avec la mort.

Privée de tout mouvement par un corps entravé dans un amas de caisses, comme autant de vides laissés par le décès d'un être cher, la Winnie de "Oh les beaux jours" interprétée par Marion Coutris crée une nouvelle musique sur les" mots-notes" de Beckett et enrichit la partition d'une nouvelle chorégraphie en forme de croches où le ballet des objets insignifiants ponctue l'engloutissement programmé...

Marion Coutris, "Oh les beaux jours" © Cordula Treml.
Et dans ce ballet morbide (la mort est toujours une "fin" en soi) mais bizarrement poétique, Serge Noyelle pose ses petites touches, noires et blanches, colorées, tel un peintre minimaliste donnant de furtives images à une composition éphémère mais se renouvelant sans cesse... se référant aux univers carnavalesques de James Ensor, aux tonalités "chair" de Paul Delvaux et au surréalisme de René Magritte.

Marion Coutris aborde le texte avec un souffle particulier, une respiration qui surprend au début mais qui prend très vite la mesure, le rythme si spécifique de la partition beckettienne. Happé par cette voix présente, inscrite dans l'âme de la non théâtralité fictive de Beckett, entre silences, répétitions, poussées vocales brèves, presque suspensives... Elle nous envoûte au bout de quelques minutes modulant à la perfection les nuances, de la douceur à la gravité, de la folie à la sensualité, de l'excitation à l'extase.

Marion Coutris, "Oh les beaux jours" © Cordula Treml.
Les mots sont d'une précision chirurgicale, juste ce qu'il faut, pas un de trop... Musique épurée, sans notes redondantes, le verbe va à l'essentiel, la phrase se limite à l'urgence du sens... maigre dans son ossature mais d'une densité que retranscrit avec une intensité étonnante Mario Coutris, jouant d'une virtuose économie de gestes, sortant avec la grâce d'une ballerine irréelle, chorégraphe d'une danse éthérée, les objets de son sac... Comme autant de signes matériels concrets en opposition avec l'inanité de ces jours renouvelés construits sur le chemin de l'attente de la mort qui, pour nous sembler si virtuelle, prend chez Beckett, l'aspect si concret de ce relief sculptural que l'on réserve à la vie.

Dans cette modulation où s'étirent syllabes après syllabes les "émauxtions, la voix, le corps enseveli (dans le non-dit), les mains de Marion distillent un éther de vie sans espoir mais sans cesse répété. Entouré de ces symboles qui construisent le quotidien et le reformulent chaque jour, même le fantôme de l’être aimé arrive à exister. Willie (belle et subtile performance de Noël Vergès) a sa place au milieu du vide, gravitant tel un satellite instable dans un no man's land immaculé composé de caisses de bois drapées. Dans ce spectacle de l'agonie où, comme dans la vie, chaque jour on remonte sur scène, Marion Coutris et Serge Noyelle apporte une atonalité virtuose très personnelle... portant le texte millimétré de Beckett de la minutie à l'épure, entre spectaculaire et intimisme.
"Vivre, c'est aussi s'habituer à l'idée de la mort".

"Oh les beaux jours"

Marion Coutris, "Oh les beaux jours" © Cordula Treml.
Texte : Samuel Beckett.
Mise en scène : Serge Noyelle & Marion Coutris.
Scénographie, lumière : Serge Noyelle.
Assistant à la mise en scène : Grégori Miege.
Avec : Marion Coutris et Noël Vergès.

Du 16 mai au 8 juin 2013.
Mardi, jeudi, vendredi, samedi à 21 h, dimanche 2 juin à 17 h.
Théâtre NoNo, 35 traverse de Carthage, Marseille 8e, 04 91 75 64 59.
>> theatre-nono.com

24 et 25 avril 2015.
Grande Théâtre de l'Académie d'Art Dramatique de Shanghai.
Grand Théâtre de l’Académie d’art dramatique de Shanghai,
Shangxi, Huashan lu, 630 hao, Chine.

Gil Chauveau
Vendredi 31 Mai 2013
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