Avignon 2021

•Off 2021• No Way, Veronica, du théâtre rock-and-roll, version remix, high level performance !

Ce spectacle n'est absolument pas correct ! Il va même à l'encontre de toutes les morales, de toutes les courtoisies. Il est sans vergogne, sans cache-sexe. Un opéra du "tout fout le camp", je vous assure. Un nid de langues vipérines, de voluptés misogynes et même d'orgies. Mais on nous dira que c'est du second degré ! Bien sûr !



© Square & Martins Production.
Quel est son but, au fond, à ce spectacle ? Se moquer des femmes ? Parce qu'elles sont profondément hétérosexuelles ? C'est ça ? Et quel mal y a-t-il à être hétérosexuelle ? Mais ça ne s'arrête pas là : il faut les montrer coquettes, rusées comme illusionnistes et, surtout, surtout prêtes à tout pour dominer les hommes en grande tentatrice et en jouant de tous leurs charmes ! Est-ce bien noble de s'en prendre ainsi aux femmes ? Mais sachez-le, cet objectif pervers est raté, fatalement, oui, car l'image des femmes, et en particulier l'image de Veronica Evans, est ici finalement bien plus pure, plus conforme à la bienséance, aux devoirs de la femme que celles des hommes de cette pièce !

Car on nous les raconte, on nous les montre, ces hommes, comme dire ? On nous les montre s'occupant à des activités sans intérêt, sans véritable virilité : jouant aux échecs, écoutant de la musique, regardant la télé, lisant des livres ! Prenant des douches ! Et surtout refusant, avec une violence folle, toute présence féminine, au point d'assassiner ou de tenter d'assassiner cette pauvre Veronica. Ah ça, ils ne sont pas très… pas très gentils ces hommes qui ont l'air si satisfaits d'être homosexuels ! Y a-t-il de quoi ?

Alors, on nous dira qu'il faut penser tout cet opéra corrosif au deuxième degré !

Mais voyez par vous-même : la pièce se déroule dans une station météo sur une île en Antarctique. Il gèle, évidemment, au pôle. Ils sont on ne sait pas combien dans cette station. De mémoire, il y a Stanley Baker, Richard Crenna, Peter Falk, William Holden, Bob Hoskins, Jock Mahoney, James Mason, Craig T. Nelson, Daniel J. Travanti, Jean-Christophe Quenon… Rendez-vous compte : Peter Falk, William Holden, James Mason, pour ne citer que les acteurs les plus connus du cinéma hollywoodien ! Ils attendent la relève, qui ne viendra qu'au printemps, je crois.

© Square & Martins Production.
Quand, soudain, apparaît sous différents déguisements et avec différents stratagèmes pour entrer dans la station météo : Gina Lollobrigida en personne. Que du beau monde ! Car dans cette histoire, Veronica Evans est interprétée par l'immense, la sculpturale, la callipyge Gina Lollobrigida ! Rien de moins ! Une Gina, elle-même interprétée par Isabelle Ronayette. Oui, c'est un peu complexe, torturé, emboîté…

Bref, vous l'avez bien senti, ressenti, pressenti, cette pauvre héroïne, Veronica Evans, pourtant si saine de corps et d'esprit, bien qu'apparemment un peu nymphomane - mais quel mal cela fait-il, et à qui ? -, cette innocente Veronica est tour à tour suspendue à un filin sous un hélicoptère, envoyée à travers l'océan Antarctique sur un ridicule Zodiac, puis jetée à l'eau (glacée) comme un sac, et enfin bardée de fusées de détresse et envoyée s'exploser dans les airs.

Mais vous ne verrez rien de toutes ces vilenies qui sont pourtant bel et bien dans ce texte sulfureux d'Armando Llamas, extrait du recueil "14 pièces piégées" (piégées, on comprend). Une certaine retenue du metteur en scène Jean Boillot, je pense (tout de même), une pudeur l'a empêché de réaliser en vrai ces scènes apocalyptiques (et sans doute aussi les moyens financiers, car réunir tant d'acteurs connus sur un plateau aurait coûté bonbon… mais on me dit que la plupart de ces fameux acteurs ne sont plus de ce monde, alors cela résout l'équation, Rip). Non, rassurez-vous, nos yeux sont épargnés, mais pas notre imaginaire.

L'univers sonore (le responsable est Christophe Hauser, sachez-le), les voix des quatre interprètes, les musiques (méfaits de David Jisse), les bruitages les plus surprenants (en direct émis par la bouche de Philippe Lardaud), les riffs de guitare rock (Hervé Rigaud ne fait pas que dire, jouer et chanter, eh oui), les morceaux interprétés et chantés en live (et Jean-Christophe Quenon, au synthé, en fait partie, on l'a entendu), tout cela emmailloté dans les lumières d'ambiance (œuvres de Ivan Mathis), des lumières vitales et toniques, et psychédéliques qui agissent intensément sur notre imaginaire. Et l'on voit tout de cette histoire délirante avec essentiellement un univers sonore d'une précision, d'une efficacité diabolique !

Évidemment, si l'on regarde cela du 2e, voire du 3e degré (pour une station météo, c'est logique de parler de degrés, ha !), les énormes clichés sociaux et télévisuels sont bien tous caricaturés ici. Femmes serviles et objets sexuels, homos effrayés par toutes les féminités, Armando Llamas les dégomme tous. "No way Véronica" résonne aujourd'hui où les luttes homosexuelles contre la domination de l'hétéro-normalité voisinent avec les luttes féministes contre le patriarcat", nous dit le metteur en scène Jean Boillot. Oui, certainement, oui, vrai.

Ce qui est sûr, c'est que ce spectacle rock-and-roll sur la banquise ne laissera personne de glace.

"No Way, Veronica"

"Ou nos gars ont la pêche"
Texte : Armando Llamas.
Mise en scène : Jean Boillot.
Avec : Isabelle Ronayette , Jean-Christophe Quenon, Philippe Lardaud, Hervé Rigaud.
Création musicale : David Jisse, avec la complicité d'Hervé Rigaud et de Jean-Christophe Quenon.
Lumières : Ivan Mathis.
Sonographie : Christophe Hauser.
Costumes : Pauline Pô.
Régie générale : Perceval Sanchez.
Durée : 1 heure.
Ce spectacle est dédié à la mémoire de David Jisse.

•Avignon Off 2021•
Du 7 au 29 juillet 2021.
Tous les jours à 15 h 15, relâche les 12, 19 et 26 juillet.
Le 11, 11, boulevard Raspail, Avignon.
Réservations : 04 84 51 20 10.
>> 11avignon.com
© Square & Martins Production.

Bruno Fougniès
Mercredi 30 Juin 2021
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