Avignon 2019

•Off 2019• Hercule à la Plage Entre mythe et mythomanie, la vie est un songe

Convoquer la figure d'un super héros de la mythologie - et ce dans le droit fil d'Ariane tissé par sa chère maman disparue qui racontait à sa petite fille émerveillée l'histoire héroïque du fils de Jupiter et d'Alcmène - pour s'inventer ensuite une existence idéalisée, la divine "créature" de Fabrice Melquiot s'en donne à cœur joie… quitte à briser celui de ses trois camarades, amoureux fous de la fille la plus belle, la plus intelligente, la plus tout… Mais comme les histoires d'amour (seraient-elles enfantines) finissent mal en général, un jour sur une plage ensoleillée, l'amour échoua avec l'annonce du déménagement prochain de la belle.



© Ariane Catton Balabeau.
Bien des années plus tard, les Trois mousquetaires (qui étaient quatre comme chacun sait) se retrouvent dans un labyrinthe mnésique érigé de colonnes herculéennes où, des peupliers de la cour de récréation des prémices, à la plage où se brisèrent leurs amours platoniques, ils vont rejouer leurs émois passés (?) comme si le temps s'était arrêté en eux. Un conte initiatique qui, en "bousculant" les limites spatiotemporelles, questionne la permanence du sentiment et l'influence des histoires que l'on (se) raconte sur l'existence vécue. La vie est un roman dont on essaye d'être les héros…

Un roman qui alterne dialogues et narration décalée pour mieux mettre en abyme cette histoire où de super-héros, créés de toutes pièces par le désir brûlant de plaire et/ou d'être plu, entraînent à un jeu de rôles… mis en jeu à son tour sur un vrai plateau de théâtre, lieu de l'illusion. Dédoublement du réel et de l'illusion, jeux de miroirs qui se font échos jusqu'à troubler notre rapport à nous-même. Qui sommes-nous ? Des êtres libres et autonomes ou des constructions de récits empilés, les nôtres, et ceux des autres sur nous ?

© Ariane Catton Balabeau.
Hercule et ses douze travaux ont "impressionné" durablement la petite fille. Lorsque sa maman, morte à ses neuf ans, lui racontait les serpents envoyés par Junon dans son berceau afin de se débarrasser de cet être né des amours coupables de Jupiter, elle en frissonnait de peur… avant de se réjouir de son invulnérabilité. L'épreuve des douze travaux accomplis par la suite par le colosse a été pour elle le symbole de la puissance mise au service du défi d'exister. Depuis, elle attend le héros grand et fort qui viendrait, pour elle, réitérer les mêmes exploits.

"Tout est bizarre et normal à la fois", toutes les époques confondues comme pour dire que ce qui nous constitue résulte d'expériences sans date fusionnant entre elles pour créer notre matière en mouvement. Alors Melvil, Charles, Angelo et India traversent les âges, ils ont dix ans, quinze ans, quarante ans, traversent les lieux de leur enfance et adolescence, mais si leurs traits se sont modifiés avec le temps, leur structure psychique perdure sous leur apparence changeante.

© Ariane Catton Balabeau.
Ils s'élancent, d'un même élan, cartables au dos, pour ramener le lion de Némée, terrassé. Les copains, rivalisant à mort, déposent aux pieds de la belle, qui une peluche léonine à la tête décapitée, qui une tête de lion découpée dans l'emballage d'une tablette de chocolat. Suivront les autres travaux… L'hydre de Lerne (vraie-fausse vipère aux viscères à l'air), la chasse de la biche de Cérynie, la capture du sanglier d'Érymanthe, le nettoyage au kärcher des écuries d'Augias, donnent lieu à des tableaux à haute valeur humoristique.

De même que les chansons de Cabrel dans lesquelles "il y a toujours quelque chose qui tombe", citées par un protagoniste pour évoquer sa dépression prépubère liée au départ de la belle. "De toi jamais je ne guérirai", déclarent-ils tour à tour avec emphase réjouissante. Et même s'ils iront, à sa demande jusqu'à se battre pour elle, la bagarre se terminera par des éclats de rire tant leur amitié à tous les trois est inaliénable.

Quand viendra la chute - celle qu'implique le temps théâtral - le dévoilement de "l'héroïne" dans la lettre qu'elle adresse à sa chère maman, résonne d'une humanité à fleur de peau : la vie est pleine de super héros qui ont de sacrés problèmes…

Ce conte initiatique qui convoque avec un humour irrésistible l'une des figures de la mythologie la plus colossale pour dire ce que vivre suppose d'humilité, est à déguster toutes générations confondues. La poésie est affaire trop précieuse pour la laisser au soin des seuls enfants…

"Hercule à la Plage"

© Ariane Catton Balabeau.
Création Avignon 2019.
Texte : Fabrice Melquiot (à partir du mythe d'Hercule).
Mise en scène : Mariama Sylla, assistée de Tamara Fischer.
Avec : Raphaël Archinard (Melvil), Julien George (Charles), Hélène Hudovernik (India et mère d'India), Miami Themo (Angelo).
Scénographie : Khaled Khouri.
Création lumière : Rémi Furrer.
Création univers sonore : Renaud Millet-Lacombe.
Costumes : Irène Schlatter.
Régie son : Benjamin Tixhon.
Régie lumière : Théo Serez.
Régie plateau : Gabriel Sklenar en alternance avec François-Xavier Thien.
Maquillages : Katrine Zingg.
Peinture des décors : Valérie Margot.
Durée : 1 h.
Tout public à partir de 9 ans.
Théâtre Am Stram Gram - Genève.
"Hercule à la plage" sera publié aux éditions La Joie de lire, coll. La Joie d'Agir en septembre 2019.

•Avignon Off 2019•
Du 5 au 26 juillet 2019.
Tous les jours à 10 h 10, relâche le mercredi.
11 • Gilgamesh Belleville, Salle 2
11, boulevard Raspail.
Réservations : 04 90 89 82 63.
>> 11avignon.com

Yves Kafka
Lundi 15 Juillet 2019
Dans la même rubrique :