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Match au sommet (Douce) France - Amérique au Festival Radio France

Parmi les cent soixante-quinze concerts programmés au Festival Radio France - Occitanie - Montpellier en juillet 2018, les deux derniers du 20 juillet ont affiché un contraste frappant. Le ténor Reinoud Van Mechelen a livré un appréciable récital de cantates françaises avant que l'Orchestre National de France dirigé par Emmanuel Krivine ne nous déçoive avec une soirée consacrée à un Gershwin plutôt emprunté.



Reinoud Van Mechelen et A Nocte Temporis © Pablo Ruiz.
Avec l'ensemble qu'il a fondé il y a quelques années, A Nocte Temporis ("Depuis la nuit des temps"), le ténor belge Reinoud Van Mechelen nous a gratifiés d'un moment très "Douce France" (le thème du festival cette année) avec un récital de cantates françaises du XVIIIe siècle. Conçue pour agrémenter les salons de la Régence, la cantate parle tous les idiomes de la sociabilité passant du rire aux larmes, entre petit opéra de chambre et théâtre.

Le programme mis au point par l'excellent Reinoud Van Mechelen nous a invités à une déambulation dans le paysage riche qu'ont cultivé les compositeurs du XVIIIe siècle connus ou oubliés et qui se sont distingués dans ce genre théâtral et vocal, comique ou tragique. Le "Pyrame et Thisbé" de Nicolas Clérambault (1676-1749) en a été le cœur battant. Longue d'une vingtaine de minutes, l'œuvre d'un des plus grands compositeurs du genre est un véritable mini opéra entre préciosité et tragique.

Un bijou étincelant que restitue avec sentiment et brio le ténor belge formé à l'Académie d'Ambronay (entre autres) dans un français restitué délectable (roulement des R, son WE pour la syllabe OI). Le moindre de son talent n'étant pas de pouvoir jouer plusieurs rôles (dont celui du récitant) et de les caractériser tous sans peine - puisque le chanteur doit faire revivre un vrai petit théâtre à lui tout seul, secondé parfois par ses complices instrumentistes.

Reinoud Van Mechelen et A Nocte Temporis © Pablo Ruiz.
Le rire et le burlesque ne sont pas de reste avec des œuvres de Nicolas Racot de Grandval (1676-1753) et Laurent Gervais (c1670-1748). Leurs cantates parodiques "Rien du tout" pour le premier et "Ragotin ou la sérénade burlesque" pour le deuxième ont dû faire les beaux après-dîners du régent Philippe d'Orléans (du moins jusqu'en 1723). "Rien du tout" compile des extraits de cantates célèbres en une sorte de revue folle et absurde que les dons de comédien de Reinoud Van Mechelen rendent irrésistible. La seconde présente un ridicule (Ragotin) cherchant à séduire par un chant épouvantable une jeune actrice aux mœurs légères dans la bonne ville du Mans.

Le ténor réussit là encore à manier en maître les nuances et procédés qui provoquent les ris, soulignent les ridicules et pourvoient en amusements (pour une œuvre inspirée du "Roman comique" de Scarron). Un beau panorama que conclut en bis un superbe "Naissez brillantes fleurs" extrait des "Fêtes vénitiennes" d'André Campra. Virtuosité et hédonisme ne manquent décidément pas au jeune chanteur, dont chaque apparition est une fête justement.

Le soir, l'affiche du festival avait de quoi étonner. Le directeur musical du National, Emmanuel Krivine, n'a-t-il pas choisi de nous donner une soirée entièrement consacrée à George Gershwin (1898-1937) ? Un choix qui s'est révélé en effet assez peu pertinent à l'écoute de ce concert.

"Rhapsody in blue" par l'Orchestre National de France © Luc Jennepin.
Avec une "Ouverture cubaine" (composée en 1932 après un séjour à la Havane) dont l'introduction nous ravit - avec ses quatre percussionnistes placés devant l'orchestre maniant brillamment bongos, maracas et autres instruments à percussion exotique - la suite se révèle vite empruntée, raide, à mille lieux de l'esprit des œuvres du compositeur. On ne peut s'empêcher de penser que l'orchestre (soumis à une telle battue) ne parle décidément pas son idiome naturel.

Le reste de la soirée sera à l'avenant avec ces hits merveilleux que sont "Rhapsody in blue" et "Un Américain à Paris" (1928), et qui présentent les mêmes défauts : excès de formalisme, manque de swing et de légèreté, et ce, malgré tout le talent (immense) des musiciens de l'Orchestre National de France. La clarinette de Patrick Messina et le violon de Luc Héry percent superbement de loin en loin la nappe brouillardeuse et grise, pompeuse et emphatique qui seule nous parvient. Le jeune pianiste Louis Schwizgebel parvient cependant à ressusciter l'âme du compositeur américain en cette soirée avec un "Concerto en fa majeur" doté de l'esprit "moderniste" et jazz idoines.

"Rhapsody in blue" par l'Orchestre National de France © Luc Jennepin.
Techniquement convaincant (avec les répétitions d'arpèges, de trilles, avec des reprises rythmiques diaboliquement incessantes, et la vélocité pourvoyant au caractère décousu des motifs), le pianiste sait nous happer - même si le deuxième mouvement aurait pu se faire vrai "blues". Et c'est décidément bien la "Douce France" qui a gagné le point sur l'Amérique en ce onzième jour de festival.

Notons que le marathon Scarlatti continue. Ce projet fou de donner l'intégralité en concert des 555 sonates du compositeur italien né en 1685 à Naples par trente clavecinistes - sur les pas de l'immense Scott Ross qui les a enregistrées il y a trente ans - et ce, dans treize lieux exceptionnels du patrimoine en Occitanie, se poursuit. Comme tous les concerts du festival, ils sont à écouter sur les ondes de France Musique.

Du 9 au 27 juillet 2018.
Festival de Radio France - Occitanie - Montpellier "Douce France".
Tél. : 04 67 02 02 01.
Programme complet >> lefestival.eu

Christine Ducq
Lundi 23 Juillet 2018
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