Lyrique

"Mârouf, savetier du Caire"… Vous reprendrez bien un peu de désert !

Le plus grand succès de l’Opéra Comique du début de l’autre siècle fait son retour salle Favart jusqu’au 3 juin dans une mise en scène drôlissime de Jérôme Deschamps, avec un plateau d’artistes à se damner !



© DR Pierre Grosbois.
On ne connaît plus le compositeur, ce Henri Rabaud qui fit les grandes heures de l’Opéra Comique au début du XXe siècle avec son "Mârouf", à l’époque où l’Orient et l’Asie fournissaient en abondance ses sujets à l’art lyrique européen. Époque où les Spahis, sentant bons le sable chaud de l’Empire colonial - façon Jean Gabin vingt ans plus tard dans "Gueule d’Amour" - faisaient rêver les paysannes creusoises, les nourrices bretonnes montées à Paris et les bourgeoises du monde entier.

La geste coloniale et l’Orient devenu "compliqué" n’étant plus de saison, comment monter aujourd’hui cet opéra comique improbable, mettant en scène un savetier pauvre et ses merveilleuses aventures, qui gagne l’amour d’une belle princesse nommée Saamcheddine dans une Égypte tout droit sortie des "Mille et une Nuits" ? Jérôme Deschamps a la solution : il en fait un rêve enfantin, une collection de vignettes irrésistibles, une fantasmagorie naïve et colorée, bref une évasion vraiment jouissive.

© DR Pierre Grosbois.
Dans un décor stylisé et fantaisiste à échelle d’enfant, avec casbah et palais miniatures, avec de beaux costumes aux accessoires délirants - Ô ces coiffes démesurées et burlesques ! -, le spectacle ravit les yeux et taquine nos zygomatiques. Et que dire de ces ânes, chevaux-humains et chameaux-balais qui chantent, boivent et dansent… comme Michael Jackson. Les trouvailles de mise en scène sont incessantes, les gags visuels fleurissent, on ne sait plus où donner de la tête. On ne s’ennuie pas une minute !

Et puis l’autre bonne surprise, c’est la musique, charmante, qui rappelle par éclairs Ravel et Saint-Saëns (dont Rabaud fut le disciple) entre deux thèmes pseudo orientaux. C’est la grâce subtile de cette musique française justement renommée pour son orchestration et ses harmonies idiosyncrasiques. L’Orchestre Philharmonique de Radio-France emmené par le chef Alain Altinoglu la sert avec panache et délicatesse. On se régale. Selon une mécanique efficace, les danses succèdent aux numéros solos et aux duos chantés en cinq tableaux, nous entraînant de la casbah "cairote" au palais du sultan, du harem à un oasis abritant un trésor gardé par un génie, façon orientalisme de bazar.

© DR Pierre Grosbois.
Mais tout cela n’est rien encore. Un plaisir divin nous est réservé par un plateau de chanteurs stratosphériques ! Le duo des héros tout d’abord : la princesse Saamcheddine, c’est la soprano Nathalie Manfrino, d’un charme, d’une vivacité mutine et d’un talent confondants. Quand elle paraît, tout s’illumine et son chant velouté et éclatant emporte tous les cœurs. Son amant, Mârouf, c’est le baryton Jean-Sébastien Bou, justement acclamé, qui porte idéalement cette production à des sommets de drôlerie et d’émotion avec une belle voix aux riches couleurs, une énergie constante - il est de tous les tableaux ou presque - et un jeu vraiment cocasse. En les écoutant, je me suis surprise à les imaginer réunis dans un nouveau "Pelléas et Mélisande". Quel bonheur ce serait !

Les autres chanteurs sont excellents, avec une mention spéciale pour le Vizir de Franck Leguérinel et le Sultan de Nicolas Courjal. Le Chœur Accentus, les danseurs, tous concourent à notre joie. C’est le sourire aux lèvres qu’on ressort de ce spectacle vraiment merveilleux, tout surpris de s’être laissé embarquer loin, loin dans l’univers magique de "Mârouf, savetier du Caire" !

© DR Pierre Grosbois.
"Mârouf, savetier du Caire".
Opéra en cinq actes (1914).
Livret en français de Lucien Népoty.
Musique de Henri Rabaud (1873-1949).
Durée : 3 h avec entracte.

Du 25 mai au 3 juin 2013.
Mercredi 29 mai, vendredi 31 mai, lundi 3 juin 2013 à 20 h. Dimanche 2 juin 2013 à 15 h.
Opéra Comique, 0825 01 01 23.
1, place Boieldieu Paris 2e.
>> opera-comique.com

Direction musicale : Alain Altinoglu.
Mise en scène : Jérôme Deschamps.
Chorégraphie : Compagnie Peeping Tom.
Décors : Olivia Fercioni.
Costumes : Vanessa Sannino.
Lumières : Marie-Christine Soma.
Chef de Chœur : Christophe Grapperon.
Chefs de chant : Sylvie Leroy, Mathieu Pordoy.

Jean-Sébastien Bou, Mârouf.
Nathalie Manfrino, Princesse Saamcheddine.
Nicolas Courjal, le Sultan.
Franck Leguérinel, le Vizir.
Frédéric Goncalvès, Ali.
Doris Lamprecht, Fattoumah.
Luc Bertin-Hugault, Ahmad le pâtissier.

Chœur : Accentus.
Orchestre Philharmonique de Radio-France.

Diffusion sur France Musique le 22 juin à 19 h.
© DR Pierre Grosbois.

Christine Ducq
Mercredi 29 Mai 2013
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