© Béatrice Treilland.
À huit heures, le capitaine de police Ventura entame la garde à vue la plus ahurissante de sa carrière au cours de laquelle la grand-mère au Lüger vide son sac… Et le récit de sa vie se transforme en un feu d'artifice dans lequel il est question de meurtriers en cavale, de Veuve Noire et de nazis enterrés dans sa cave. Mais à quel jeu de dupes, au juste, Ventura est-il exposé dans ce face-à-face avec Mamie Lüger ?
Bien souvent, lors d'une adaptation au théâtre d'un ouvrage – quel qu'en soit son genre –, il s'agit pour nous d'essayer de comprendre quelles ont bien pu être les raisons profondes et intrinsèques qui ont infléchi la compagnie, la comédienne ou le comédien à le choisir…
Tel est le cas, à nouveau, pour ce roman de Benoît Philippon adapté ici par Josiane Carle et Carole Chevrier et mis en scène par Antoine Herbez. À vrai dire, dans le cas présent, c'est la comédienne Josiane Carle, 85 ans, qui a contacté un jour Benoît Philippon, en lui confiant qu'elle avait lu son roman et qu'elle aimerait beaucoup interpréter le personnage de Berthes sur les planches. La réponse ne s'est pas faite attendre. Le projet a vu le jour rapidement.
Bien souvent, lors d'une adaptation au théâtre d'un ouvrage – quel qu'en soit son genre –, il s'agit pour nous d'essayer de comprendre quelles ont bien pu être les raisons profondes et intrinsèques qui ont infléchi la compagnie, la comédienne ou le comédien à le choisir…
Tel est le cas, à nouveau, pour ce roman de Benoît Philippon adapté ici par Josiane Carle et Carole Chevrier et mis en scène par Antoine Herbez. À vrai dire, dans le cas présent, c'est la comédienne Josiane Carle, 85 ans, qui a contacté un jour Benoît Philippon, en lui confiant qu'elle avait lu son roman et qu'elle aimerait beaucoup interpréter le personnage de Berthes sur les planches. La réponse ne s'est pas faite attendre. Le projet a vu le jour rapidement.
© Béatrice Treilland.
"En tant que femme depuis plus de cent ans, j'ai bien vu qu'on me roulait dans la farine. J'ai pas gardé un Lüger dans ma commode par hasard !"
Et si tout était dit à travers cette réplique cinglante de Berthe, en réponse à notre interrogation ! Et si cette phrase résumait à elle seule le vrai désir d'adapter ce roman et pour Josiane Carle celui d'interpréter Mamie Lüger ? Il s'agirait donc d'un projet féministe aux allures de "Me Too" ?
Certes, à bien y regarder, cette direction particulière saute aux yeux tout au long de ce huis clos sobrement mis en scène, mais habilement pensé grâce aux effets de lumières de Fouad Souaker, symbolisant les différents moments évoqués du roman : tantôt le présent, tantôt le passé.
Très vite, le public va osciller dans les méandres rocambolesques de la vie de Berthe Gavignol, buvant ses paroles hautement divulguées et ayant parfois du mal à tout entendre… Mariée à plusieurs hommes "foireux", Berthe n'y va pas par quatre chemins, et elle se fait justice elle-même, elle qui a reçu par sa grand-mère une éducation basée sur l'indépendance, la liberté, loin des conventions et des normes sexistes. Son esprit frondeur, sa gouaille, sa manière de jouer avec les autres et de le revendiquer, cachent aussi une véritable ode au temps qui passe et à la vieillesse.
À travers les mots de Berthe, bien sourde ou sourd, serait celle ou celui qui ne verrait pas à quel point cette dernière, loin d'être un naufrage, est un apogée de puissance et d'analyse sur soi et le monde.
"Berthes-Mamie-Me Too-Lüger" est une Antigone des temps modernes devenue vieille, une Médée rebelle ayant vécu qui s'insurge jusqu'à la fin contre les normes sociales et morales qu'on a cherchées à lui imposer.
Il y a de cela dans cette pièce, certes, mais le roman de Benoît Philippon invite à creuser davantage, au-delà de la seule ode émancipatrice de la femme. Dépasser le grotesque proposé par le biais d'un langage souvent cru et de l'humour noir, pour y percevoir un corps qui déconstruit les normes de la beauté, de la sexualité et du genre, en proposant une forme d'inversion des rôles, mais également une satire des institutions (police, justice, patriarcat).
Brillamment interprétée par Josiane Carle, Mamie Lüger au corps vieillissant est un lieu de résistance, un territoire politique, loin des discours normatifs d'utilité et de productivité.
Et si tout était dit à travers cette réplique cinglante de Berthe, en réponse à notre interrogation ! Et si cette phrase résumait à elle seule le vrai désir d'adapter ce roman et pour Josiane Carle celui d'interpréter Mamie Lüger ? Il s'agirait donc d'un projet féministe aux allures de "Me Too" ?
Certes, à bien y regarder, cette direction particulière saute aux yeux tout au long de ce huis clos sobrement mis en scène, mais habilement pensé grâce aux effets de lumières de Fouad Souaker, symbolisant les différents moments évoqués du roman : tantôt le présent, tantôt le passé.
Très vite, le public va osciller dans les méandres rocambolesques de la vie de Berthe Gavignol, buvant ses paroles hautement divulguées et ayant parfois du mal à tout entendre… Mariée à plusieurs hommes "foireux", Berthe n'y va pas par quatre chemins, et elle se fait justice elle-même, elle qui a reçu par sa grand-mère une éducation basée sur l'indépendance, la liberté, loin des conventions et des normes sexistes. Son esprit frondeur, sa gouaille, sa manière de jouer avec les autres et de le revendiquer, cachent aussi une véritable ode au temps qui passe et à la vieillesse.
À travers les mots de Berthe, bien sourde ou sourd, serait celle ou celui qui ne verrait pas à quel point cette dernière, loin d'être un naufrage, est un apogée de puissance et d'analyse sur soi et le monde.
"Berthes-Mamie-Me Too-Lüger" est une Antigone des temps modernes devenue vieille, une Médée rebelle ayant vécu qui s'insurge jusqu'à la fin contre les normes sociales et morales qu'on a cherchées à lui imposer.
Il y a de cela dans cette pièce, certes, mais le roman de Benoît Philippon invite à creuser davantage, au-delà de la seule ode émancipatrice de la femme. Dépasser le grotesque proposé par le biais d'un langage souvent cru et de l'humour noir, pour y percevoir un corps qui déconstruit les normes de la beauté, de la sexualité et du genre, en proposant une forme d'inversion des rôles, mais également une satire des institutions (police, justice, patriarcat).
Brillamment interprétée par Josiane Carle, Mamie Lüger au corps vieillissant est un lieu de résistance, un territoire politique, loin des discours normatifs d'utilité et de productivité.
© Béatrice Treilland.
À ce titre, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander qui a véritablement influencé qui dans ce projet théâtral : la comédienne-autrice-metteuse en scène, être de chair et de sang, résistante à sa manière, à la longue carrière impressionnante, tant au théâtre qu'au cinéma, séduite par cette Mamie Lüger aux allures de Jeanne d'Arc des trottoirs ou encore d'une Cassandre des marges qui crache la vérité à la figure d'un monde hypocrite ?
Ou bien est-ce Mamie Lüger elle-même, être d'encre et de papier, que s'est appropriée Josiane Carle en faisant sienne le personnage et en lui donnant chair ? Et si Mamie Lüger et Josiane Carle n'étaient qu'une seule et même personne ? Gageons, malgré tout, que Josiane Carle ne possède pas d'arme dans sa maisonnée… Quoique ! Car le théâtre n'en est-il pas un, à bien y regarder ?
Peu importe, après tout, puisque le résultat est là. Berthe se sait condamnée par le temps qui a passé. Mais n'a-t-elle pas été condamnée aussi durant toute sa vie, pendant plus d'un siècle, ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas d'en sourire avec détachement ?
Il est fort probable que le public reconnaisse en Mamie Lüger certaines femmes proches de lui, mais qui, malheureusement, n'ont pas eu l'occasion ni la chance de détenir un Lüger dans leur commode et qui, toute leur vie, sont restées emprisonnées et muselées…
Dans le rôle du capitaine Ventura, surnommé "Lino" par Berthe, Antoine Herbez se met en scène. Dans cette garde à vue surréaliste, il interroge Mamie Lüger avec élégance, à bien y regarder, en axant finement son incrédulité vers le public et en mettant en avant la nécessité de toujours tendre vers l'humain lors d'un jugement, même le plus difficile ! Car Ventura parvient à sa manière à être le contrepoint de la flamboyante Mamie, et parvient à faire basculer la pièce vers un drame hautement humain dans lequel Antoine Herbez se montre très crédible, proche du public et de toutes ses interrogations.
Il parvient à incarner une forme de réconciliation avec le mâle, loin de tout masculinisme ambiant et réducteur, voire de certains poncifs et autres stigmatisations autour des relations "homme-femme"…
"Mamie Lüger", c'est une ode à la femme, bien sûr, mais aussi à la vieillesse, dans laquelle l'humour apporte aussi la juste note satirique aux inégalités de genre ou aux hypocrisies morales, et où le théâtre de l'absurde, par moments, n'est pas loin. C'est un hommage à l'humain, avant tout.
Dépassons la légèreté de la forme et l'énormité de certaines situations à la Audiard pour découvrir davantage un texte à l'ironie mordante et aux thèmes qui résonneront longtemps en vous, et qui est adapté ici avec un mélange de sobriété et de talent indéniable. Alors, Mamie Lüger ira-t-elle en prison en risquant la perpétuité ? Ventura succombera-t-il à ses supplications lors de la dernière requête de Berthe ? Courez le découvrir sans plus tarder.
◙ Brigitte Corrigou
Ou bien est-ce Mamie Lüger elle-même, être d'encre et de papier, que s'est appropriée Josiane Carle en faisant sienne le personnage et en lui donnant chair ? Et si Mamie Lüger et Josiane Carle n'étaient qu'une seule et même personne ? Gageons, malgré tout, que Josiane Carle ne possède pas d'arme dans sa maisonnée… Quoique ! Car le théâtre n'en est-il pas un, à bien y regarder ?
Peu importe, après tout, puisque le résultat est là. Berthe se sait condamnée par le temps qui a passé. Mais n'a-t-elle pas été condamnée aussi durant toute sa vie, pendant plus d'un siècle, ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas d'en sourire avec détachement ?
Il est fort probable que le public reconnaisse en Mamie Lüger certaines femmes proches de lui, mais qui, malheureusement, n'ont pas eu l'occasion ni la chance de détenir un Lüger dans leur commode et qui, toute leur vie, sont restées emprisonnées et muselées…
Dans le rôle du capitaine Ventura, surnommé "Lino" par Berthe, Antoine Herbez se met en scène. Dans cette garde à vue surréaliste, il interroge Mamie Lüger avec élégance, à bien y regarder, en axant finement son incrédulité vers le public et en mettant en avant la nécessité de toujours tendre vers l'humain lors d'un jugement, même le plus difficile ! Car Ventura parvient à sa manière à être le contrepoint de la flamboyante Mamie, et parvient à faire basculer la pièce vers un drame hautement humain dans lequel Antoine Herbez se montre très crédible, proche du public et de toutes ses interrogations.
Il parvient à incarner une forme de réconciliation avec le mâle, loin de tout masculinisme ambiant et réducteur, voire de certains poncifs et autres stigmatisations autour des relations "homme-femme"…
"Mamie Lüger", c'est une ode à la femme, bien sûr, mais aussi à la vieillesse, dans laquelle l'humour apporte aussi la juste note satirique aux inégalités de genre ou aux hypocrisies morales, et où le théâtre de l'absurde, par moments, n'est pas loin. C'est un hommage à l'humain, avant tout.
Dépassons la légèreté de la forme et l'énormité de certaines situations à la Audiard pour découvrir davantage un texte à l'ironie mordante et aux thèmes qui résonneront longtemps en vous, et qui est adapté ici avec un mélange de sobriété et de talent indéniable. Alors, Mamie Lüger ira-t-elle en prison en risquant la perpétuité ? Ventura succombera-t-il à ses supplications lors de la dernière requête de Berthe ? Courez le découvrir sans plus tarder.
◙ Brigitte Corrigou
"Mamie Lüger"
© Béatrice Treilland.
"Centenaire, féministe et tueuse en série"
D'après le roman de Benoît Philippon (Éditions Équinoxe).
Adaptation : Josiane Carle et Carole Chevrier.
Mise en scène et dispositif scénique : Antoine Herbez.
Avec : Josiane Carle et Antoine Herbez.
Lumières : Fouad Souaker.
Par la Compagnie Ah.
Tout public.
Durée : 1 h 15
Du 29 août au 1er novembre 2025.
Vendredis et samedis à 19 h.
Théâtre Essaïon, 6, rue Pierre-au-Lard, Paris 4e.
Téléphone : 01 42 78 46 42.
>> Billetterie en ligne
>> essaion-theatre.com
D'après le roman de Benoît Philippon (Éditions Équinoxe).
Adaptation : Josiane Carle et Carole Chevrier.
Mise en scène et dispositif scénique : Antoine Herbez.
Avec : Josiane Carle et Antoine Herbez.
Lumières : Fouad Souaker.
Par la Compagnie Ah.
Tout public.
Durée : 1 h 15
Du 29 août au 1er novembre 2025.
Vendredis et samedis à 19 h.
Théâtre Essaïon, 6, rue Pierre-au-Lard, Paris 4e.
Téléphone : 01 42 78 46 42.
>> Billetterie en ligne
>> essaion-theatre.com