Théâtre

"Maldoror" conduit vers l'œuvre d'Art, l'opéra intime du Poète !

Benjamin Lazar présente sa dernière mise en scène, "Maldoror" d'après "Les Chants de Maldoror" du comte de Lautréamont, pseudonyme provocateur d'Isidore Ducasse. "Les Chants de Maldoror"… ce livre, inclassable, aimé des symbolistes et des surréalistes… ce livre du dédoublement.



© Jean-Louis Fernandez.
De Lautréaumont, tout d'abord, ce bouffon cruel, cette monstruosité morale et physique que décrit Eugène Sue dans un roman historique vite populaire. D'Isidore Ducasse ensuite : cet inconnu, lecteur insatiable, écrivain en devenir, mort trop jeune pendant le siège de Paris en 1870.
De son double fantastique aussi, ce personnage en mal d'horreur qui avance en direction de la beauté monstrueuse.

Enfin "Les chants de Maldoror"… Ce recueil étrange, protéiforme, décousu à bien des égards, écartelé entre scientisme et fantastique, romantisme et réalisme, pétri de réminiscences, animé d'un esprit de révolte, tendu par un désir zutique de se confronter aux plus grands dans une manière de parodie, d'autoparodie, d'ironie de la maladresse qui, au détour du verbe, devient pure poésie.

La proposition de Benjamin Lazar accompagne le spectateur, déchiffre l'œuvre, en suit le cheminement. Du lecteur à l'écrivain, de l'écrivain au spectateur… Et, puisque représentation théâtrale il y a, présentation de l'autre en amont, l'écrivain et l'acteur qui jouent avec eux-mêmes en observateurs esthètes du monde.

© Jean-Louis Fernandez.
La dramaturgie suit "Les chants de Maldoror" dans leur déroulement et trouve un équivalent scénique aux différentes étapes du texte.

Physiquement, le comédien élabore un conteur qui se joue des différents avatars que lui propose le texte qui est suivi à la lettre, à la métaphore près. Benjamin Lazar affirme sa présence tout en étant attentif à toutes les instances du récit, les registres de langue, infléchissant par le jeu tout cet empilement d'images, ces marques d'auto-ironie ou d'inquiétude de soi qui fourvoie tout lecteur. Le matériau théâtral joue de la dilatation ou de la rétractation. Respire.

C'est ainsi que le spectateur est hypnotisé par une projection filmique avec ses retours en boucle, ses coupures nettes. Staccatos et chaos visuels. Paris des passages entre Bourse et Palais Royal. Les livres, les images contemporaines. Un passé encore présent. Un condensé de l'œuvre est proposé en accéléré, le kaléidoscope du passant.

Cette transcription scénique égrène clairement les signes théâtraux, qui entrent en composition avec l'espace, le volume de la scène. Elle condense, met en relief, éclaire. Les effets du texte deviennent effets scéniques. Leur énergie est maintenue, retenue. La représentation est toute en tension fluide. La scène joue des illusions et des mirages, abolit sa propre réalité, installe un laboratoire du fantastique, installe une chimère. L'alchimie du théâtre se joue sur le plateau lui- même.

De la table d'objets où se dévoilent les scènes primitives, quiètes ou sardoniques. Le lit-cage, espace ultime d'enfermement et d'évasion, de repos fût-il éternel. Ou, à l'inverse, au lointain, la projection d'ombres mouvantes, géantes, évanescentes qui révèlent les spectres apaisés. Et Benjamin Lazar se métamorphose, endosse Isidore Ducasse ainsi que tous ses êtres chimériques. Effet du Théâtre dans sa simplicité.

Il suffit au présent de la présentation, de la couleur de la voix, d'une consonance, de la présence, pour que s'ouvre, pour le spectateur, le chemin qui, de paliers en paliers, partant d'un monde fragmenté, le conduit vers l'œuvre d'Art : l'opéra intime du Poète. Qui n'a plus besoin de représentation, de sens, perméable qu'il est à l'écoute et au regard. Le spectateur assiste à la représentation des chants d'un certain Maldoror, d'un certain comte de Lautréamont, d'un certain Isidore Ducasse dans sa révolte et son énigme.

"Maldoror"

© Jean-Louis Fernandez.
D'après "Les Chants de Maldoror" du comte de Lautréamont.
Mise en scène : Benjamin Lazar.
Création sonore et musicale : Pedro Garcia-Velasquez et Augustin Muller.
Avec : Benjamin Lazar.
Scénographie : Adeline Caron et John Carroll.
Costumes : Adeline Caron.
Lumières : John Carrol.
Images : Joseph Paris.
Collaboration artistique Jessica Dalle.
Production : Théâtre de l'Incrédule, Paris.
Durée : 1 h 40.

Du 2 au 19 octobre 2019.
Mardi à 19 h, mercredi au samedi à 20 h.
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Grande salle, Paris 9e, 01 53 05 19 19.
>> athenee-theatre.com

© Jean-Louis Fernandez.

Jean Grapin
Jeudi 10 Octobre 2019
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