Théâtre

Magnifier l’apprentissage de l’art d'être courtisan

"Le bourgeois gentilhomme", Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris

Il était une fois un bourgeois qui voulait atteindre la grâce d’un gentilhomme de cour et se retrouve puni de ses propres lubies en devenant l’objet d’une bastonnade rituelle. Il est fait sujet du Grand Turc… et se retrouve soliste d’un ballet de cour. Intronisation du personnage. Et hou du balai le bonhomme gesticule en rythme : ce qui fait rire et ravit.



François Morel © Mirco Magliocca.
"Le bourgeois gentilhomme", comédie ballet de Molière et Lully (ancêtre des opérettes et autres comédies musicales), est un chef-d'œuvre de farce. Le saltimbanque qui joue en miroir des danseurs est l’homme de toutes les situations. Danse, musique, escrime, philosophie, management domestique et bal masqué. Le bourgeois est tourneboulé mais il s’intègre au spectacle du commanditaire : le roi est expert en danse et anoblit qui il veut. C’est dans un exercice d’évitement et d’acceptation simultané de la "tête de turc" qu’est magnifié l’apprentissage de l’art du courtisan.

Jean-Baptiste Poquelin, de lignée bourgeoise, alias Molière, en est un maître et, dans chacun de ces rôles, il y a un Scapin (Scapare) virtuose qui s’échappe et récupère le rire à son avantage.

La proposition de Catherine Hiegel (accompagnée du CADO, centre national d’Orléans, et de l’Ensemble Baroque La Rêveuse) renvoie à une vision historique épurée du "bourgeois gentilhomme". Elle est réjouissante. Elle profite des études de ces dernières décennies sur la période baroque*: c’est, pour le spectateur, enfin la fin de la pompe et de l’ennui, et le retour à des danses au rythme marqué et véloce.

François Morel et Alain Pralon (sociétaire honoraire) © Mirco Magliocca.
Les costumes stylisés aux couleurs chaudes accrochent la lumière. Les décors sont peints, la machinerie est simple et visible. Tout renvoie à un imaginaire du théâtre. Beau tout simplement sans excès. C’est le retour aux bosquets et salles de verdure par lesquels le spectateur entre dans un monde enchanté : celui où les plates bandes de fleurs deviennent broderies. Fête à Versailles. Les comédiens virent et voltent.

Ainsi traitée, la pièce de Molière apparait dans la vérité de sa structure : elle est celle d’une farce qui trouve ses comparses et ses complices au fur et à mesure de son déroulement. Elle formée d’une succession de genres, courts morceaux qui s’articulent et s’enchaînent prestement par la précision du texte et s’enroulent pour produire un feu d’artifice final. Musique, danse, théâtre comique fusionnent magnifiquement. C’est une montée au bal masqué qui apporte le vrai sourire. Le spectateur n’est pas hostile. Bien au contraire. Celui-ci prend aise et s’offre au rire. Celui-ci est freiné.

Le bourgeois de cette version porté par François Morel est ahuri,comme pétrifié, entrant dans le jeu comme en retard de l’action. Cette interprétation tenue avec beaucoup de finesse se comprend comme une volonté de s’écarter des interprétations historiques de bourgeois qui accusent les traits du ridicule de caste ou bien sont trop ouvertement à la pantalonnade. Elle est justifiée.

Cela étant, le personnage de Jourdain étant un amplificateur de jeu et un point de retournement des situations, cette position de retrait prend le risque d’une raideur et d’une pose dans le jeu qui entre en contradiction avec la pièce elle-même.

Il appartient à François Morel de trouver au fil des jours la fluence, l’énergie, les effets de syncope par lesquels le comédien et ses avatars - Jourdain, Poquelin, Molière, chef de troupe et comédien - entrent en relation de complicités ; entrainent la troupe qui n’attend que cela et déferlent sur le public.

*Le spectateur à la recherche de la perfection de l’esthétique baroque, qui précéda Louis XIV, peut aller à l’Opéra Comique suivre le travail de Benjamin Lazar sur la fable musicale "Egisto furioso" de Francesco Cavalli (du 1er au 9 février).

"Le bourgeois gentilhomme"

Comédie-ballet de Molière et Jean-Baptiste Lully.
Mise en scène : Catherine Hiegel.
Assistante à la mise en scène : Natacha Garange.
Chorégraphie : Cécile Bon.
Avec : François Morel, Alain Pralon (Sociétaire honoraire de la Comédie-Française), Marie-Armelle Deguy, Olivier Bioret, Anicet Castel, Stephen Collardelle, Joss Costalat, Eugénie Lefebvre, David Migeot, Emmanuel Noblet, Romain Panassie, Camille Pelicier, Gilian Petrovski, Géraldine Roguez, Frédéric Verschoore, Héloïse Wagner et l'Ensemble Baroque La Rêveuse.
Décors : Goury.
Lumières : Dominique Borrini.
Costumes : Patrice Cauchetier.
Direction musicale : Benjamin Perrot.
Coiffures et maquillages : Véronique Soulier-Nguyen.
Travail vocal : Vincent Leterme.
Durée : 3 h, entracte inclus.

Spectacle du 12 janvier au 27 mai 2012.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 20 h 30 et dimanche à 15h.
Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris 10e, 01 42 08 00 32.
>> portestmartin.com

Jean Grapin
Jeudi 2 Février 2012
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