Théâtre

"Mademoiselle Julie" Une marche des passions vers l'échafaud

"Mademoiselle Julie", Théâtre de l'Atelier, Paris

Comme un oiseau en cage qui, à l'ouverture de la porte, est sauvagement sacrifié. Ainsi du sort d'une jeune aristocrate qui, lors d'une fête de la Saint-Jean, croit pouvoir dominer son valet et sa cuisinière et jouir des effets de la liberté qu'elle découvre.



© Franck Beloncle.
Dans "Mademoiselle Julie", August Strindberg place deux personnages dans un huis clos étouffant. La jeune maitresse et le valet, tous deux travaillés par des sentiments contradictoires jusqu'au vertige. L'auteur décrit la résistance des préjugés de caste (diffusés jusque dans l'esprit des serviteurs) face à la pulsion incontrôlée des corps. La cage est solide. La jouissance vire au sacrifice.

L'écriture de la pièce est implacable. Chaque action de Julie se retourne contre elle. Et d'une scène d'ivresse au sein d'une fête, d'une danse reconduite naît un corps-à-corps cruel, un duel, un combat sans merci et cynique. Entre les convenances et les désirs, entre les rêves et les réalités, les distorsions s'affirment et deviennent fatales.

Sur scène, dans la mise en scène de Julie Brochen, Anna Mouglalis est Julie, avec sa voix rauque et chaude, son engagement physique entier, sans coquetterie ni minauderies. Elle est une enfant-femme tyrannique, un garçon manqué fragile.

Avec Xavier Legrand en valet rationnel et opportuniste, le duel atteint des sommets. Les comédiens accompagnent la vérité du texte. Et Julie Brochen qui met en scène donne à l'espace de la scène une dimension de tableau réaliste réussi. Intervenant elle-même comme cuisinière rigoriste, elle est un faire valoir discret des deux protagonistes. Elle est aussi le tiers qui ne peut être exclu. La parole d'autorité.

Étrangement, cette proposition théâtrale est découpée en actes, ponctuée par des transitions en chansons enregistrées. Qui apparaissent comme plaquées en dépit de leur intention de marquer des paliers dans la progression dramatique et d'affirmer une dimension de théâtre naturaliste. Un léger excès de mode "variété" sans doute, au risque de briser le rythme de la pièce.

Ce nonobstant celle-ci progresse de manière spectaculaire vers la tragédie. Elle décrit la décomposition d'un état bravache qui, de faux apaisements en peurs successives, débouche sur l'effroi et un silence pesant. Comme une marche à l'échafaud et le couperet final. Le public est saisi.

"Mademoiselle Julie"

© Franck Beloncle.
Texte : August Strindberg.
Traduction : Terje Sinding.
Mise en scène : Julie Brochen.
Avec : Anna Mouglalis, Xavier Legrand, Julie Brochen.
Lumières : Louise Gibaud.
Création sonore : Fabrice Naud.
Scénographie, costumes : Lorenzo Albani.
Durée: 1 h 20.

Du 28 mai au 30 juin 2019.
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Relâche : 21 et 25 juin.
Théâtre de l'Atelier, Paris 9e, 01 46 06 49 24.
>> theatre-atelier.com

Jean Grapin
Mercredi 5 Juin 2019
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