Théâtre

"Loki", un conte qui, l'air de rien, finit en apothéose wagnérienne

"Loki, pour ne pas perdre le Nord", Théâtre L'étoile du nord, Paris

C'était durant le long temps d'avant : avant qu'il était une fois. Il n'y avait rien ou plutôt si. Il n'y avait que Niflheim si glacé. Il y avait aussi Muspel tout feu flamme et au milieu un gouffre de néant Ginnungagap. Du choc de leur rencontre, une forme gigantesque Ymir engendra tous les géants… les jotuns, les trolls, les ogres et toutes sortes d’autres…



© Philippe Stisi.
Abbi Patrix et son supplément dame Linda Edsjö racontent l’Edda, la mythologie nordique dans son cycle complet. De la naissance du monde à sa destruction. Le spectateur embarque dans le drakkar de l'imaginaire. Entre tempêtes et accalmies, esquivant les obstacles, hallucinant devant les fantômes, ivre de la traversée.

C'est que dans cette histoire mouvementée qu'Odin essaye de régenter, en séparant les dieux et les géants, tout est histoire de craquements, de fonte et de métamorphoses. Sur terre croissent les êtres vivants et, dans ce long temps, Loki l'agité, le perturbateur, vibrionne tantôt du côté des dieux, tantôt du côté des géants. Virevoltant. Traître. Loyal. Rusé. Imprévisible.

Dans ce long temps, les dieux vieillissant bénéficient de pommes d'or pour relancer leur immortalité déclinante. Sous terre, des nains rivalisent d'ingéniosité dans les reflets et miroitements de l'or pour complaire aux dieux. Comprenne qui pourra.

© Philippe Stisi.
Ce fut ce long temps d'avant qui finit en une catastrophe des dieux et des géants. Emportant toute la descendance. Le sang coule. À l'exception d'un couple. Les deux survivants (et avec eux, ceux que nous sommes), porteurs de la vie et de la vivacité, n'ont pour bagage que les bribes d'un manteau d'histoires au tissu déchiré et reprisé maintes fois qu'il faut savoir recoudre…

Abbi Patrix et Linda Edsjö officient à la table électroacoustique. En Loki loquaces, ils lancent le début du conte et le dansent et le chantent et le scandent à la manière d'un vieux rythme de vent lancinant, saccadé, enveloppant, caressant, fouettant… tant tempétueux

Abbi Patrix embarque son monde. Les épisodes s'entrechoquent. Entre sonorités des langues nordiques et sonorités du français, reprises de traductions, chants alternant, chants consonant, le récit avance à la découverte de l'oubli des hautes vallées de Dalécarlie.

Le son qui s'amplifie amplifie le geste qui amplifie la voix qui installe le dialogue et concrétisent avec quelques cailloux et objets des sorts et des contre sorts. Sortilèges. D'accords en accords, une petite musique rythmée et psalmodiée devient épopée. Le conte l'air de rien finit en apothéose wagnérienne.

© Philippe Stisi.
Et miracle du théâtre, à l'inverse des Dijis qui propagent la transe, Abbi Patrix et Linda Edsjö dans une complicité totale et bienveillante concentrent l'attention et captivent et délassent.

"I upphavs tider
var ingen ting,
ikke sand, ikke sjø
eller svale bølger;
jord fans ikke
og opphimmel,
bare ginnunga-gap
og gras ingen steder.
C’était au premier âge
Où il n’y avait rien,
Ni sable ni mer
Ni froides vagues;
De terre point n’y avait
Ni de ciel élevé,
Béant était le vide
Et d’herbe nulle part"

"Loki, pour ne pas perdre le Nord"

© Philippe Stisi.
À partir de 10 ans.
Écriture : Abbi Patrix.
Récit : Abbi Patrix.
Avec : Abbi Patrix et Linda Edsjö.
Percussions : Linda Edsjö.
Composition musicale : Wilfried Wendling et Jean-François Vrod.
Chorégraphie : Pascale Houbin.
Lumière et scénographie : Sam Mary.
Collaboratrice artistique marionnettes et théâtre d’objets : Agnès Limbos.
Collaborateur artistique photographie : Emmanuel Pierrot.
Durée 1 h 30.

Du 29 mars au 16 avril 2016.
Mardi, mercredi, vendredi à 20 h 30, jeudi à 19 h 30, samedi à 17 h.
Théâtre L'étoile du nord, Paris 18e, 01 42 26 47 47.
>> etoiledunord-theatre.com

Jean Grapin
Jeudi 10 Mars 2016
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