Théâtre

Les modèles des artistes sont-elles vraiment des modèles de vie ? À en croire ces "Muses", non, et tant mieux !

La racine étymologique de musée est "temple des Muses", du nom de ces neuf déesses qui président aux arts. Ici, elles ne sont que quatre (mais neuf en alternance, tiens ? Hasard…) et l'histoire qu'elles incarnent se déroule effectivement dans un musée après la fermeture, dans la torpeur de la nuit. Dans ce spectacle très vivant, incarner est le verbe idéal pour définir ces créations de personnages, puisque ceux-ci ne sont faits, au tout début, que des figures faites de pigments, de colle, de toiles et de cire.



© Xavier Cantat.
Des figures suspendues dans leurs cadres et posées sur un socle qui sont des chefs-d'œuvre : la "Joconde" de Léonard de Vinci, la "Naissance de Vénus" de Botticelli, la "Petite danseuse" de Degas et le "Diptyque Marilyn" d'Andy Warhol… Magie du théâtre, lorsque le dernier visiteur sort, suivi par le dernier gardien, ces muses renaissent, reprennent vie, voix et chair. Alors commence une longue nuit qui va révéler les caractères surprenants, parfois volcaniques et débordants de ces personnages si sages le jour.

Besoin de se dérouiller un peu les jambes, de se plaindre de la cohue qu'elles subissent tous les jours, de se rappeler des souvenirs "d'enfance" ou de se réchauffer les nerfs aux rivalités les plus classiques, rivalités de notoriété, de séduction ou d'âge, car ces quatre figures font bien partie des représentations de l'idéal féminin en compétition, telle sera la course qu'elles mènent avec fougue et sensualité.

L'idée de départ aurait pu devenir banale et vaine sans l'inventivité que les autrices, les interprètes et le metteur en scène ont déployé. Le texte de Claire Couture et Mathilde Le Quellec ancre résolument son ton dans la fantaisie, le jeu de répliques et l'humour. Les deux autrices ont laissé libre cours à leur imaginaire en gardant un point de vue moderne. Elles dessinent des tempéraments rugueux, explosifs et inattendus, qui tranchent avec les idées convenues que l'on forme face à ces représentations idéalisées de la femme : ce que cache le visage, l'apparence, l'esthétique.

© Xavier Cantat.
Les comédiennes s'emparent avec un bel appétit de ce texte. Elles prêtent leurs talents à ces icônes avec une énergie débordante. Elles n'ont pas seulement le talent de comédiennes, mais également celui de chanteuses, des chansons créées pour la pièce qu'elles interprètent à plusieurs voix dans des passages vraiment comédie musicale. Il faut encore ajouter à cela un humour sans complaisance qui émaille tout le spectacle. Dans ce registre, Lucie Riedinger est très efficace et très originale.

La mise en scène de Stanislas Grassian et les décors de Sandrine Lamblin, bien mis en valeur par les lumières de Nicolas Gros, servent d'écrin délicat et performant à ces quatre comédiennes. L'ensemble, auquel il faut ajouter la musique de Raphaël Callandreau, fonctionne parfaitement bien pour nous faire oublier tout et rêver un temps dans cette salle qui, elle aussi, convient comme un gant à cette belle comédie.

"Les Muses"

© Xavier Cantat.
Texte : Claire Couture et Mathilde Le Quellec.
Mise en scène : Stanislas Grassian.
Avec en alternance : Claire Couture ou Sophie Kaufmann, Florence Coste ou Isabel Jeanin ou Tiffanie Jamesse, Mathilde Le Quellec ou Lucie Reidinger, Amandine Voisin ou Morgan L'Hostis.
Décors : Sandrine Lamblin.
Costumes : Charlotte Richard, assistée de Fatna Sebsab et Marie-Hélène Forestier.
Composition et arrangements vocaux : Raphaël Callandreau.
Instruments : Antonin Volson.
Chorégraphies : Millard Hurley et Claire Couture.
Création lumière : Nicolas Gros.
Tout public.
Durée : 1 h 20.

Du 22 septembre 2022 au 8 janvier 2023.
Du jeudi au samedi à 19 h, dimanche 15 h.
Relâches exceptionnelles les 24, 25 décembre et 1er janvier.
Théâtre Le Ranelagh, Paris 16e, 01 42 88 64 44.
>> theatre-ranelagh.com

Bruno Fougniès
Mardi 18 Octobre 2022
Dans la même rubrique :