Théâtre

"Les Temps modernes"... façon Yeung Faï

"Blue Jeans", Monfort Théâtre, Paris

L’histoire de ses origines est une fable… il était une fois un marionnettiste chinois du nom de Yeung Faï. Originaire du Fujian, il a hérité d’une tradition de la marionnette vieille de plus de deux mille ans. Héritage, transmission, finesse et beauté définissent ce maître. Assister à ses créations est toujours un événement. "Hand Stories", son précédent spectacle (aussi au Monfort), était un magnifique hommage à son père. "Blue Jeans", plus dur mais non moins poétique, s’adresse à ses enfants et aux jeunes générations futures. Yeung Faï traite un sujet d’une actualité brûlante, l’exploitation des enfants dans une usine de jeans chinoise.



© DR.
Le jean est un symbole de liberté très forte. Avoir choisi ce vêtement pour évoquer le dictat et l’exploitation des usines chinoises n’est donc pas un hasard. La dramaturge Pauline Thimonnier part de la fiction pour traiter du sujet. Les premières images sont celles d’un homme plié en deux pour pousser une meule en pierre. Ce corps fin et nerveux (superbe, l’image très graphique impressionne d’emblée) ne semble jamais s’arrêter.

La vision quasi naturaliste accentuée par un fond sonore très présent (une mouche vient titiller le spectateur et finit presque par énerver) le fait entrer dans cet univers campagnard. Nous sommes en Chine dans une de ces provinces reculées et pauvres. Mais la projection de cette campagne sur des paravents amovibles donne un ton particulier à l’ensemble… le regard posé devient impressionniste, comme plus tard la projection de la grande ville (assourdissante) sera presque vue comme une partition musicale. Ici la poésie prend le pas sur le réalisme du propos.

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Mais la fiction évoquée n’en est pas moins dure. On se heurte à la réalité d’un couple obligé de vendre à la naissance un de ses enfants parce que deux bouches à nourrir, c’est trop. Celle qui restera, Jasmin, sera obligée de partir à l’adolescence. La ville étant le seul endroit où elle peut trouver du travail. Au fur et à mesure de la pièce, nous glissons vers le documentaire qui dénonce l’esclavagisme moderne (l’exploitation des enfants dans une usine de fabrication de jeans) et la pollution (les produits chimiques utilisés par les usines et déversés dans les rivières).

La narration est entrecoupée d’images réelles et de témoignages d’ouvriers. Pendant ce temps, l’homme blanc, désireux de fermer les yeux sur cette triste réalité, se rassure comme il peut… Pendant la représentation, il vérifie tout de même s’il ne porte pas de jean.

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Ils sont trois artistes sur scène pour réussir à nous faire vivre des personnages tendres, touchants ou cocasses. On a beau se dire qu’ils sont faux, la précision du geste est telle, l’expression des marionnettes à gaine est si étonnante qu’on s’y attache comme s’ils étaient faits de chair et d’os. On comprend alors pourquoi sa collaboratrice israélienne Inbal Yomtovian parle "d’événement majeur dans son parcours de marionnettiste" à travailler avec des artistes tels que Faï et Yoann Pencolé.

Dans cette création, Yeug Faï innove en inventant un nouvel espace de jeu qui se démultiplie avec le défilé de paravents qui reviennent indéfiniment et qui glissent comme autant d’écrans. Mais le plus impressionnant, je pense, est la façon dont la marionnette se superpose et interagit avec la vidéo projetée sur ces panneaux. C’est un peu comme si le spectateur assistait à un film en trois dimensions sur un plateau de théâtre. C’est étrange à dire, terrible à raconter et très beau à voir. C’est un récit des temps modernes.

"Blue Jeans"

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Conception, scénographie et marionnettes : Yeung Faï.
Assistant à la mise en scène : Yoann Pencolé.
Dramaturge : Pauline Thimonnier.
Création lumière : Christian Peuckert.
Assistant lumière : Adrien Gardel.
Création vidéo : Stéphane Janvier, Jérôme Vernez.
Musiques et son : Ludovic Guglielmazzi.
Conseiller artistique : Thierry Tordjman.
Regard extérieur : Philippe Rodriguez Jorda.
Construction décor : Ateliers du Théâtre Vidy-Lausanne.
Chansons interprétées par : Élodie Pittet, Huanyu Pittet.
Jeu et manipulation : Yeung Faï, Yoann Pencolé, Inbal Yomtovian, Jean-Pierre Leguay.

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Du 4 au 15 février 2014.
Du mardi au samedi à 20 h 45, le jeudi 13 février à 14 h 30.
Le Monfort Théâtre, Paris 15e, 01 56 08 33 88.
>> lemonfort.fr

Dates de tournée
18 au 21 février 214 : La comédie de Béthune (62).
22 au 26 mai 2014 : Théâtre des marionnettes, Genève.

Sheila Louinet
Jeudi 13 Février 2014
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