Théâtre

"Les Noces de Betìa"… la Renaissance dans son essence

"Les Noces de Betìa", Théâtre de l'Épée de Bois, Paris

René Loyon nous fait redécouvrir le théâtre de l'époque de Léonard de Vinci (1452-1519) et de Michel-Ange (1475-1564). Dans le texte de Ruzante, l'amour est vu au travers de propos et de gestes autant audacieux que maladivement timides, avec des personnages en proie à une liberté des sens enchaînée par des pulsions débridées.



© Nathalie Hervieux.
La Renaissance (~1300-~1650), époque riche de créations artistiques où l'homme prenait conscience de sa capacité à prendre en main son destin, a donné le jour à de nombreux génies et de talents hors normes. Toutefois, dans le domaine du spectacle vivant, peu d'auteurs sont restés dans les annales.

En 1997, Dario Fo, dans son discours de réception de son prix Nobel de littérature, écrivait : "… Un extraordinaire homme de théâtre de ma terre, peu connu… même en Italie. Mais qui est sans aucun doute le plus grand auteur de théâtre que l'Europe ait connu pendant la Renaissance avant l'arrivée de Shakespeare. Je parle de Ruzzante Beolco, mon plus grand maître avec Molière".

C'est dit. Le metteur en scène René Loyon propose une pièce d'Angelo Beolco dit Ruzante (1496 ?-1542), connu pour ses comédies écrites dans la langue vénitienne de Padoue. Ce qui surprend dans "Les Noces de Betìa" (1524-1525) est la verdeur des répliques sur les plaisirs du corps, sexuels et organiques, tournées avec délice et sans jamais manquer de poésie.

© Nathalie Hervieux.
Des personnages ayant des envies de chier ou de montrer leur "outil" laissent à penser qu'Aristophane (445 av. J.-C.-385-375 av. J.-C.) avait encore quelques émules. Ils font ressentir leurs tourments, leurs sentiments sous le prisme de la colère, de la nervosité ou d'une gestuelle très marquée.

Charly Breton (Zilio), superbe dans son phrasé bousculé, joue un personnage, timide, un tantinet idiot, amoureux fou de Betìa (Olga Mouak). Il arrive, sans tomber dans un travers caricatural, à montrer ses états d'âme de façon comique, en proie aux démons de sa passion qui le dépossède de son corps. Le voilà par terre, contorsionné sur lui-même comme pieds et poings liés devant sa belle

Les relations entre protagonistes sont très bousculées, presque "violentes", parfois à coup de pieds au "Q". Cela crie, hurle, rouspète. Le jeu est très physique. On parle, on disserte à coup d'engueulades sous la duplicité de Nale (Maxime Coggio) qui souhaite tromper son ami Zilio et sa femme pour devenir amant de Betìa. Il navigue dans des eaux où l'équilibre est de règle et l'oblige à adopter une attitude ponctuée de raison et de calme.

© Nathalie Hervieux.
Le plateau est un large espace nu avec, en bois, une table, un banc et deux blocs faisant office de chaises. Le décor est sans fioritures, sans maquillage et plante avec des accessoires basiques un espace qui donne toute possibilité de mouvements.

On fait étalage de ses appâts et de sa fable sexuelle pour séduire sans prendre de détour. Les répliques sont souvent tranchantes pour marquer un périmètre d'existence en indisposant parfois, en consolant quelquefois un protagoniste. Les vis-à-vis sont faits de confrontations avec des basculements directs et brutaux de sentiments. Le jeu est cyclothymique, cohabitant dans un même élan, dans un même caractère, des envies autant destructrices que conciliantes. L'amour a le visage de Janus, celui à la fois d’Éros et de Thanatos.

"Les Noces de Betìa"

Texte : Ruzante.
Traduction : Claude Perrus - Éditions Circé.
Mise en scène : René Loyon.
Dramaturgie : Laurence Campet.
Avec : Charly Breton, Maxime Coggio, Titouan Huitric, Yedwart Ingey, Olga Mouak, Marie-Hélène Peyresaubes, Lison Rault.
Lumières : Jean-Yves Courcoux.
Régie : Jean-Louis Portail.

Du 7 septembre au 15 octobre 2017.
Du jeudi au samedi à 20 h 30, samedi et dimanche à 16 h.
Théâtre de l'Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre, Paris 12e, 01 48 08 39 74.
>> epeedebois.com

Safidin Alouache
Vendredi 15 Septembre 2017
Dans la même rubrique :