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Le temps et le plaisir retrouvés !

Ambiance étrange et émouvante pour le premier concert en public de l'Orchestre National de France dans l'Auditorium de Radio France. La série de neuf concerts donnés par les formations symphoniques de la Maison de la Radio se poursuivra jusqu'à la fin du mois de juillet.



© Radio France.
Le directeur de la musique et de la création maison, Michel Orier, est d'abord venu sur scène pour se féliciter de la réouverture de l'Auditorium de Radio France au public après 120 jours de confinement. Un discours très applaudi par les 600 spectateurs masqués, chacun strictement séparé des autres par un siège vide. Un public qui formait un étrange tableau, comme extrait d'une séquence onirique façon Stanley Kubrick.

Au programme, la Symphonie en sol majeur pour cordes et continuo de Carl Philipp Emanuel Bach, suivie par deux œuvres de Martinù et Bartok revisitant à leur manière le genre du Concerto Grosso au XXe siècle. Un programme cohérent et original d'œuvres parfois peu jouées, choisies pour fêter dignement le retour des musiciens de l'Orchestre dirigés par l'excellent Francois-Xavier Roth. L'occasion aussi d'entendre le pianiste Cédric Tiberghien, trop rare à notre goût à Paris.

Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), le deuxième des quatre fils musiciens de Johann Sebastian, et le plus célèbre de la famille Bach (de son vivant), est l'auteur de dix-huit symphonies en trois mouvements - chacune des symphonies longues d'une dizaine de minutes. Un atout certain pour un concert destiné à durer une heure sans entracte, afin de pouvoir répondre aux injonctions de l'épais cahier des charges gouvernemental en ces temps de pandémie et de déconfinement.

© Christine Ducq.
Le vibrionnant François-Xavier Roth est à son affaire et entraîne sans peine avec lui tous les coeurs (et les musiciens de l'orchestre), trop heureux de jouer à nouveau en public, dans un premier mouvement vif et joyeux - pour une œuvre à la sensibilité déjà pré-romantique. Composée en 1773 pour l'Ambassadeur d'Autriche à Berlin, cette symphonie H 657 n'est plus vraiment baroque et pas vraiment classique avec ses cadences suivies de silence, ses départs inattendus et bifurcations joyeuses encadrant un Adagio méditatif central.

Les musiciens allant alors occuper la partie supérieure du plateau près du piano, place au Double concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales H 271 de Bohuslav Martinù. Une œuvre rarement jouée d'un des compositeurs les plus importants de la Tchéquie. Gageons que même parmi les mélomanes présents dans l'Auditorium, ce second violon de 1913 à 1923 de la Philharmonie tchèque, puis élève de Roussel à Paris où il vit jusqu'en 1940, n'est guère fréquenté. C'est pourtant le compositeur d'une œuvre souvent impressionnante, avec par exemple ce Double concerto d'une durée d'une vingtaine de minutes, et qui se révèle passionnant avec son architecture très réfléchie.

D'une écriture très dense, cette œuvre où la virtuosité de chaque soliste éclate à chaque instant, est composée en 38-39 en Suisse sur commande de Paul Sacher, le chef d'orchestre qui vient d'accueillir Martinù ; celui-ci a dû fuir les bruits de bottes nazies. L'œuvre est d'ailleurs dédiée au chef en "souvenir du séjour calme et angoissé (...) sous menace de la guerre" dans la belle campagne suisse. À tout le moins, elle reflète bien l'histoire tragique européenne, avant l'exil américain du compositeur. Tout surprend : son premier mouvement tendu Poco Allegro, son second mouvement (un Largo bouleversant), faisant intervenir un piano soliste méditatif. Le jeu de Cédric Tiberghien se révèle admirable de bout en bout jusqu'au troisième mouvement plein de vigueur - avec son sommet dramatique et son chant désespéré, repris du deuxième mouvement. L'exécution des musiciens du National n'impressionne pas moins, maîtres qu'ils sont de cette tempête orchestrale.

© Radio France.
Le Divertimento pour orchestre à cordes de Béla Bartok nous est plus familier. Il est composé pendant l'été 1939 dans l'Oberland bernois par un Béla Bartok également accueilli par le chef Paul Sacher - à qui ce Divertimento est dédié (son Orchestre de chambre de Bâle le crée en juin 1940). Et ce, juste avant l'exil américain, définitif en ce qui concerne le compositeur hongrois. L'horreur de la guerre qui vient ne semble pas affecter une œuvre allègre dans son ensemble, hormis un passage pathétique dans le second mouvement Adagio où les violons lyriques semblent pleurer.

Les cordes de l'Orchestre National de France brillent dans la danse aux motifs d'inspiration hongroise de l'Allegro non troppo initial. Relevant le défi d'une partition tout en rythmes brisés et abrupts changements de tempo, leur jeu dynamique fait plaisir à voir. Le troisième mouvement plein de vie et de couleurs offre ensuite un passage solo de toute beauté (à la manière tsigane) pour le premier violon délectable de Sarah Nemtanu. Voilà une soirée qui répare et guérit où le chef n'a visiblement pas beaucoup de mal à encourager le brio de ses interprètes, tous clairement heureux d'être là. C'est ce qu'on appelle une vocation.

L'Orchestre Philharmonique de Radio France et l'Orchestre National de France continueront à se succéder tous les jeudis à 20 h jusqu'au 23 juillet 2020 pour nous donner ces concerts, retransmis en direct sur Arte Concert et sur France Musique. Une série au très beau titre : "Le temps retrouvé".

Ce concert entendu le 25 juin est à revoir ou à réécouter sur la chaîne d'Arte Concert et sur le site de France Musique.

Programme complet >> maisondelaradio.fr

Christine Ducq
Mercredi 1 Juillet 2020
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