Danse

"Le clavier bien tempéré" Un Baroque bien contemporain !

Voilà un mariage très audacieux entre Bach et la danse contemporaine. Le pianiste français Pierre-Laurent Aimard accompagné des artistes japonais Teshigawara et Sato nous dévoilent, au travers de leurs arts respectifs, une création majeure du compositeur allemand où les notes font un écho superbe aux gestiques.



Rihoko Sato et Saburo Teshigawara © Akihito Abe.
Sur scène est un long piano noir avec lequel le pianiste Pierre-Laurent Aimard interprète quatorze préludes de l'œuvre "Le clavier bien tempéré" (Das Wohltemperierte Klavier) de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Cette création musicale, bien qu'elle n'ait été que manuscrite du vivant du compositeur, est composée de deux cycles de vingt-quatre préludes et fugues. Ces deux recueils ont été composés pour le premier en 1722 pour être revu et corrigé par le compositeur jusqu'à sa mort, et le second en 1744. Chaque livre débute par la tonalité de do majeur, se poursuit par celle de do mineur, suivie de do dièse majeur et ainsi de suite, jusqu'à parcourir toute la gamme chromatique des vingt-quatre modes majeurs et mineurs.

Ces deux recueils sont l'une des œuvres les plus importantes de la musique classique. Ils ont été étudiés et admirés par de très grands compositeurs comme Mozart (1756-1791), Haydn (1732-1809), Beethoven (1770-1827) ou Chopin (1810-1849).

© Akihito Abe.
Pour accompagner le pianiste Pierre-Laurent Aimard, les danseurs et chorégraphes japonais, Rihoko Sato et Saburo Teshigawara, tous deux originaires de Tokyo, enchaînent à tour de rôle des moments de danse en solo. Cela débute par Teshigawara, l'allure presque chancelante, comme porté par l'atmosphère tel un corps debout, mais presque sans vie. De ses attitudes, l'aspect humain est quasiment occulté par celui à dessein d'un pantin. Se dessine en effet sur scène une allure pantomimique dont la force gravitationnelle semble s'être évaporée pour être accueillie par le souffle des airs.

La démarche est faussement maladroite, parfois élégante avec de légères ondulations corporelles pour essayer de trouver un équilibre. Torse et jambes nus, habillé d'un simple boxer noir ou peut-être d'un maillot de bain, le danseur, tout au long de la représentation, prend du volume, son corps devenant plus ancré au sol même s'il est toujours aérien avec les membres supérieurs bien décollés du tronc et une position des jambes parfois arquée. Ses mouvements deviennent de plus en plus sûrs, avec une gestique prenant de l'allure et de l'élégance. Saburo Teshigawara finit par avoir des figures plus poétiques dans ses formes et ses assises.

© Akihito Abe.
Rihoko Sato, tout habillé de noir, a de son côté des mouvements beaucoup plus vifs et rapides. Les membres supérieurs plongent vers le sol, la paume des mains, bien ouverte et presque tranchante, fait quelques plongées vers les planches comme celle d'une faux qui cisaillerait les airs. Les mouvements des jambes suivent en se déplaçant rapidement. La danseuse tourne parfois sur elle-même en faisant des demi-tours. Les gestiques sont pleines de fougue. La chorégraphie est très physique dans sa gestuelle quand celle de Teshigawara l'est dans ses déplacements et ses attitudes. L'une est beaucoup plus mouvante dans ses trajets quand l'autre est plus statique.

Autant dans la vitesse, les déplacements que la gestuelle, les deux chorégraphies sont antinomiques sans être toutefois réellement opposées. Elles se complètent même, comme miroir inversé l'une de l'autre. Quand le premier a le geste posé et très aérien, la seconde est très vive et ancrée au sol. Quand l'un sort de scène, l'autre arrive. Parfois, les deux se rejoignent, mais il n'y a pas de dialogue, d'interaction entre eux. Comme isolés l'un de l'autre. Ils ne se rencontrent pas sauf une seule fois, mais à distance, presque à dos tournés. Ce va-et-vient se poursuit durant toute la représentation, faisant que chaque artiste incarne et exprime à tour de rôle par leurs gestes, Bach.

Il y a un mariage audacieux entre la musique du compositeur allemand et les chorégraphies de Teshigawara et Sato, partenaires artistiques depuis plus de vingt-cinq ans. Le baroque embrasse la modernité, une modernité toujours aussi surprenante surtout quand elle est accompagnée par Bach !

"Le clavier bien tempéré"

© Akihito Abe.
Extraits.
Compositeur : Jean-Sébastien Bach.
Chorégraphie, danse : Saburo Teshigawara.
Chorégraphie, danse : Rihoko Sato.
Piano : Pierre-Laurent Aimard.
Conception lumières : Saburo Teshigawara.
Coordination technique, régie lumières : Sergio Pessanha.
Durée : 1 heure.

A été représenté du 12 au 14 avril 2022, du mardi au jeudi à 20 h 30 à la Philharmonie de Paris.

Safidin Alouache
Jeudi 21 Avril 2022
Dans la même rubrique :