Théâtre

Le charme discret (et réjouissant) de l'effet marionnettique… à Charleville-Mézières

La ville de Charleville-Mézières, tous les deux ans, est un formidable théâtre où se rencontrent les multiples et agiles avatars de Polichinelles et autres marionnettes. Cela est réjouissant, nourrit l'imaginaire.



La Revue du Spectacle a vu un petit échantillonnage et peut témoigner qu'un haut degré de création artistique est en œuvre et que l'effet marionnettique n'a rien perdu de son charme ni de son éclat.
Voici donc ces quelques pépites sélectionnées... sachant que d'autres spectacles sont encore visibles jusqu'à ce dimanche 27 septembre.

"Guerre et Paix"

"Guerre et Paix" © Nicola Frank Vachon.
Théâtre du Sous-Marin Jaune & Théâtre de Quartier - Québec - Canada.
Première en France - 1 h 35.

Pédagogique et divertissante, l'adaptation pour marionnette de "Guerre et Paix" par la troupe canadienne Théâtre du Sous-Marin Jaune & Théâtre de Quartier respecte la forme classique du récit : il est vrai que le scénario est de qualité. Avec la mise en scène proposée le récit est une épopée haletante qui fait rire et réfléchir. Accessible à tout public ce qui donne envie de lire le roman.

Le fil conducteur est tenu par une marionnette à gueule contemporaine, un loup bleu au tee-shirt rouge imprimé "Pussy Riot". À la fois régisseur, commentateur, acteur, narrateur omniscient bienveillant et impertinent, il ose interpeller Tolstoï lui-même.

Ce petit personnage est aussi virtuose. Il peut résumer l'œuvre en deux minutes chrono… et distribuer les rôles. Aux héros historiques que sont Napoléon et Koutousov sont attribués à des têtes de pantins géants, aux hordes qui s'affrontent des marionnettes de tables, aux héros du roman des marionnettes à gueule en quart de taille humaine. Le spectateur peut ressentir des émotions et lire les destins individuels, les convulsions collectives et mesurer le rôle des icônes historiques. Du coup Pierre, Natacha, André, Lise et les autres ont une réelle intensité.

"Borgia, comédie contemporaine"

"Borgia" © Robin Montrau.
Compagnie Point Zéro - Belgique.
Première en France - 1 h 25.

Avec "Borgia", le spectateur peut ressentir l'intensité d'humanité que peut révéler une marionnette portée à taille humaine. Le réalisme est saisissant. Dans les rapports qui lient la grand-mère et sa petite fille se lit tout l'étonnement et le désarroi du monde. Lorsque l'enfant découvre les dessous du passé, quand l'enfant découvre le récit familial de l'aïeul qui est aussi le sien. Les rôles des ascendants, par contraste, sont tenus par des acteurs en chair et en os (et manipulateurs à vue selon les nécessités du jeu).

Les membres de cette famille ? Une flopée d'adulescents attardés, branques et triviaux, qui ont le goût du kitsch, de la sanguinolence et des sphincters. Un ramassis, des Borgia. Le spectateur comprend que dans cette violence sociale à pleurer de rire, la grand-mère aurait probablement été condamnée si (miracle du monde marionnettique) une vilaine excroissance née dans son épaule ne lui avait tenait lieu de conscience, n'avait débattu avec elle en tête à tête et du bien et du mal. Il faut savoir saluer cette apparition d'un nouvel avatar de polichinelle né de l'épaule comme Athéna du crâne de Zeus.

"Ciel !"

"Ciel !" © Luk Monsaert.
Taptoe's erf - Belgique - 50 minutes.
À l'opposé, le Taptoe's erf, reconstitué après cinq ans de disparition, reprend "Ciel !" (Hemel !), créé en 1991, qui fut un immense succès.

La troupe a gardé le sens d'une sensibilité douce par laquelle l'homme au chapeau melon du peintre surréaliste René Magritte entre et sort du tableau dans un état d'ébahissement qui le plonge dans une rêverie perpétuelle.

"Ciel !" donne accès et vie à une œuvre picturale en toute simplicité et partage. Les enfants, même turbulents, apprécient l'intimité de monsieur Magritte.

"La Ligne Â"

"La ligne Â" © Paul Bonmartel.
Théâtrenciel - France.
Dans une tout autre manière, Roland Shön tient conférence sur "The line", l'œuvre de Saul Steinberg* créée en 1954 en quatre leporellos.

Avec "La Ligne Â", "avec accent comme dans théâtre", le marionnettiste tient avec tout le sérieux qui convient le rôle d'un guide expert qui rend conte d'un choc esthétique qui se produit en lui…

Où quand la découverte d'une carte d'une mystérieuse ligne de transport  (à sens unique) d'une ile tout aussi mystérieuse ravive les sensations autour de l'œuvre de l'artiste célèbre.

Le fil du récit est tenu avec fermeté et bienveillance. Le spectateur, absorbé par le discours qui lui est tenu, est embarqué. Il traverse une géographie imaginaire au rythme apaisé des vidéos. Porté par une forme parfaite, au cycle continu, sans heurts, comme un travail d'artisan horloger. Il entre en rêverie.

Ainsi transporté sur cette ligne  se réveille tout l'imaginaire qui sommeille.

La marionnette, subreptice sous forme de masque, de tige, de gaine, apparait lors des points de cristallisation du récit. Et le spectateur ne sait plus si Saul Steinberg est un personnage réel ou bien imaginaire.

Dans une grande économie d'effets, l'opus de Roland Shön sonne comme un transport d'Âmour résolument optimiste et humoreux.

"Du rêve que fut ma vie"

"Du rêve que fut ma vie" © Vincent Muteau.
Cie Les Anges au Plafond - France - 55 minutes.
Les Anges au Plafond racontent comment Camille Claudel, compagne d'Auguste Rodin et sœur ainée de Paul Claudel, fut amoureuse et artiste, fut désespérée, fut enfermée. Ils s'appuient sur de rares lettres conservées et pour certaines non acheminées.

Camille Trouvé plie et déplie et froisse et déchire de simples folios de papier blanc pendant que Fanny Lasfargues, à la contrebasse, micro et chambre d'écho, accompagne et amplifie la danse. Entre la comédienne et la musicienne se trouve un subtil équilibre. Entre le matériau brut du papier, sa surface et sa texture, sa résistance et sa fragilité, entre l'objet contrebasse et son matériau sonore, dans le jeu de l'ombre et de la lumière, par le corps de la comédienne, s'élabore pour Camille Claudel, dans la tension vers la folie, comme l'impossible prise d'empreinte de son désir et de sa liberté.

Les Anges au Plafond rendent tangible l'histoire en toute cohérence d'une femme à qui les hommes ont fait écran et lui rendent sa puissance. Leur manière témoigne d'une recherche de grâce plus que la recherche de l'effet marionnette lui-même.

"Les Somnambules"

"Les Somnambules" © DR.
Cie Les Ombres Portées - France.
Création 2015 - 1 h.

Dans "Les Somnambules", la compagnie Les Ombres Portées animent, dans une forme de quasi perfection, la maquette en carton blanc d'une ville idéale compacte et harmonieuse. Une maquette à faire rêver un architecte qui se métamorphose de tombée de la nuit à tomber de la nuit. Et ses lumières dévoilent les intimités et les récurrences de vie.

Le théâtre d'ombre et d'objets a rarement été porté à un tel point virtuose.

Accompagné par une partition musicale jouée en live, à base de saxophone, accordéon, violoncelle et bruitage, la pièce propose une rêverie, une utopie urbaine totale avec ses échappées libres vers la lune et la mer. Vers l'infini. "Les Somnambules" développent une vraie poétique.

*Saul Steinberg qui fut l'illustrateur du journal le New Yorker et qui aimait bien détourner des documents officiels.

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes
Du 18 au 27 septembre 2015.
Espace Festival, 25, rue du Petit-Bois,
Accès par la place de l'Église Saint-Rémi, Charleville-Mézières (08).
Tél. : +33 (0)3 24 59 94 94 • festival@marionnette.com
>> festival-marionnette.com

Jean Grapin
Vendredi 25 Septembre 2015
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