Lyrique

Le Requiem de Mozart au Festival de Saint-Denis : le jugement et la grâce !

Qui n’a pas une relation spéciale, intime et sacrée avec le Requiem de Mozart ? Qui n’a pas eu un frisson en écoutant pour la énième fois les sept mesures initiales en ré mineur de l’Introitus ? Les chanceux du concert donné dans la basilique de Saint-Denis se souviendront en tout cas longtemps de l’interprétation remarquable qu’en a proposée le chef britannique Sir Colin Davis.



Sir Colin Davis © Matthias Creutziger.
Cette création de spiritualité pure - inachevée - a été composée par l’enfant prodige, devenu un musicien reconnu à Vienne, sur son lit d’agonie en novembre 1791. C’est la commande du comte Walsegg - qui tentera de s‘approprier l’œuvre. Mais une sévère dépression - due au surmenage, à la maladie, au chagrin causé par la perte d’un enfant quelques années plus tôt - plonge le musicien dans une véritable transe : il croit écrire une Messe des Morts pour son propre enterrement.

Miracle de la musique, miracle de la voix, miracle de l’excellence de l’interprétation, c’est par une soirée exceptionnelle que s’est ouverte la 44e édition du Festival, devenu un rendez-vous incontournable de la vie musicale. Cioran conseillait à Dieu de remercier Jean-Sébastien Bach pour sa contribution à son culte. Il ne faudrait pas oublier non plus Wolfgang Amadeus et ses œuvres religieuses des années 1787-1791 : le Kyrie en ré mineur - déjà - K. 341 et le motet "Ave verum corpus" K. 618 donnés en prologue ce 31 mai au "Requiem".

© Matthias Creutziger.
Même achevée par ses élèves Joseph Leopold Eybler et Franz Xaver Süssmayer, la "Messe des Morts" est l’ultime cri de celui que Richard Wagner appelait "le plus prodigieux génie" - et le Maître n’était pas prodigue de compliments. Au seuil de sa mort, survenue dans la nuit du 4 au 5 décembre, Mozart va frapper les oreilles humaines pour l’éternité avec cette fameuse tonalité dramatique en ré mineur - déjà utilisée entre autres pour les apparitions du Commandeur dans "Don Giovanni". Et nous offrir un chef-d’œuvre qui décourage les superlatifs, sur le fil de contrastes marqués : horreur sacrée ressentie le jour du Jugement dernier (le "Dies irae"), terreur de l’avertissement martelée par le solo de trombone du "Tuba mirum", et douceur des voix féminines des Élus priant dans le "Confutatis" pour le salut des pécheurs, aux accents poignants environnés des flammes - partition infernale des cordes - dévorant les Maudits.

L’auditeur, jeté hors de lui-même dans les fureurs préromantiques du Sturm und Drang d’une partition en crescendo, trouve enfin l’apaisement avec l’andante en si mineur du "Benedictus", si mozartien, puis le repos dans l’adagio final baigné d’une lumière ineffable, "Lux perpetua luceat". Le paradis accessible par la musique. Le passeur ce soir-là, c’est Sir Colin Davis, 85 ans et un air de Sage antique. Il impose impérialement à son cher Orchestre national de France - dont il vante les mérites dans toutes ses interviews - et au remarquable Chœur de Radio France, son oreille infaillible, son charisme enchanteur et sa compréhension absolue de la partition. Ce qu’il obtient des solistes - mentions au mezzo Stéphanie d’Oustrac, à la soprano suédoise Eli Rombo, à la basse John Relyea - des chanteurs du Chœur, des musiciens, cela ne se décrit pas, cela s’écoute religieusement, chapeau bas. Son utilisation de l’espace de la basilique - pourtant si problématique en terme d’acoustique - est inoubliable, quand il fait systématiquement résonner les derniers échos des voix dans la nécropole des Rois.

D’autres rendez-vous attendent le mélomane classique, le curieux en balade, l’insatiable amateur de musique d’Ailleurs au Festival de Saint-Denis jusqu’à la fin du mois de juin. Le Liban et la Grèce sont à l’honneur avec deux créations - commandes de Radio France et du Festival -, celle d’un concerto pour trompette orientale d’Ibrahim Maalouf le 5 juin ; ou encore ce "Ciel d’Athènes à New York" le 15 juin - en création française. De grands chefs sont également au rendez-vous avec des formations prestigieuses, Sir John Eliot Gardiner entre autres, mais aussi de jeunes chefs prometteurs comme Fayçal Karaoui ou Jérémie Rhorer. N’omettons pas les jeunes artistes à découvrir ou déjà confirmés tels la mezzo Nora Gubisch, le pianiste Thomas Adès… pour ne citer qu’eux. Tous à Saint-Denis !

"Requiem" de Mozart

Kyrie en ré mineur K. 368a ;
Ave Verum Corpus K. 618 ;
Requiem K. 626.

Avec : Elin Rombo, soprano ; Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano ; Werner Güra, ténor ; John Relyea, basse.
Chœur de Radio France : Matthias Brauer, directeur musical.
Orchestre National de France : Daniele Gatti, directeur musical.
Sir Colin Davis, direction.
Coproduction Radio France/Festival de Saint-Denis

A été donné, dans le cadre du Festival de Saint-Denis,
les jeudi 31 mai et samedi 2 juin 2012 à 20h30,
Basilique Cathédrale, Saint-Denis (93).
Rediffusion du "Requiem" sur Arte Live Web pendant tout l’été.

Festival de Saint-Denis, Seine-Saint-Denis.
Du 31 mai au 30 juin 2012.
Information/réservations : 01 48 13 06 07
>> festival-saint-denis.com
Programme complet :

Festival de Saint-Denis Programme 2012.pdf  (2.53 Mo)


Christine Ducq
Mercredi 6 Juin 2012
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