Théâtre

Le Prix Martin... Ou comment passer de la dimension mélancolique à la pure farce

"Le Prix Martin", Théâtre de l'Odéon, Paris

En ces temps-là de deuil, les prussiens venaient de partir. Et les ruines du château des Tuileries, silencieuses, devenaient un paradis pour flore et faune sauvages, un conservatoire des rêves. Une belle au bois dormant aujourd’hui disparue. En 1876, date de création du "Prix Martin" d’Eugène Labiche, pour ceux qui l’avaient connue, la gaité du second empire s’était évanouie.



© Pascal Victor-ArtcomArt.
C’est ainsi que, dans "Le Prix Martin", maris, femmes, amants ont traversé la vie. Le temps a passé et calmé les cavalcades endiablées à travers Paris, les restaurants à la mode, les mariages bruyants, les portes qui claquent, les baisers volés au risque des fureurs du cocuage. Les chapeaux de paille ? Évanouis. Et les cagnottes ? Épuisées. C’est par le tourisme en l'Alpe Suisse que se pensent les vengeances et les désirs de meurtres.

Eugène Labiche met à nu le siècle et seuls subsistent dans ce vaudeville assagi le regard social aiguisé, les relations sèches entre serviteurs et bourgeois, une forme de mélancolie et le sens de la farce qui en découle. En apparence statique, la dynamique de la pièce repose sur un humour qui dépasse, en les faisant grincer, les lois du genre comique. Et l’auteur en toute discrétion de se décerner à lui-même, par l’entremise de son personnage principal, son propre prix littéraire ! Le Prix Martin : du nom que portait un vieil ami dramaturge. Et comme de bien entendu, il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin.

© Pascal Victor-ArtcomArt.
Montée par Peter Stein, "Le Prix Martin" n’a rien perdu de sa puissance.

Et le spectateur découvre de manière très claire les tenants et les aboutissants de cette histoire. Le mari trompé par le meilleur ami amant de sa femme qui découvre dans la réciprocité la valeur de la vieille amitié qui les relie et la vanité des amours. Ils se découvrent l’un et l’autre amis inséparables que les femmes ont déjà oubliés.

Les deux héros, qui par mimétisme avaient intériorisé leurs héros Dumas Alexandre et Hugo le député, qui avaient vécu les vagues du romantisme, se révèlent au bout du compte remarquables dans l’art d’être bête et très mauvais dans l’art du crime.

© Pascal Victor-ArtcomArt.
Revenus de tout, ils se révèlent les Bouvard et Pécuchet du vaudeville (ce que Gustave Flaubert avait justement pressenti).

Et aujourd’hui comme hier "Le Prix Martin" mérite le prix de la meilleure comédie.
Le public est conduit, dans la joie et la bonne humeur, de la dimension mélancolique à la pure farce, par le plaisir de l’acteur et de l’émotion vraie.

C’est dans la rigueur et le plaisir que la totalité des acteurs du spectacle (décors, costumes, jeu) jubilent à l’unisson de caricatures familières où chacun reconnaît les siens.

De l’art et de l’effet théâtre.

"Le Prix Martin"

© Pascal Victor-ArtcomArt.
Texte : Eugène Labiche.
Mise en scène : Peter Stein.
Assistante à la mise en scène : Sara Abbasi.
Collaboration artistique : Jean-Romain Vesperini.
Conseiller dramaturgique : Jean Jourdheuil.
Avec : Jean-Damien Barbin, Rosa Bursztein, Julien Campani, Pedro Casablanc, Christine Citti, Manon Combes, Dimitri Radochevitch, Laurent Stocker, Jacques Weber.
Décor : Ferdinand Woegerbauer.
Costumes : Anna Maria Heinreich.
Lumière : Joachim Barth.
Maquillages et coiffures : Cécile Kretschmar.
Effets spéciaux de maquillage : Emmanuel Pitois.
Durée : 2 h 30 (avec un entracte).

© Pascal Victor-ArtcomArt.
Du 22 mars au 5 mai 2013.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Théâtre de l'Odéon, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Jean Grapin
Vendredi 5 Avril 2013
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