Coulisses & Cie

"Le Lavoir Moderne Parisien" Les arts au service de la cité !

C'est un de ces lieux dont on aimerait entendre beaucoup plus souvent les échos dans le monde du spectacle. Appelé "Les petites Bouffes" par Peter Brook, le Lavoir Moderne Parisien est aussi riche de son passé que de ses ambitions actuelles et futures. Passage en revue d'une structure, baromètre du monde et de notre société, qui en épouse les soubresauts pour en combattre ses rectitudes et sa violence. Dans un échange croisé avec Khalid Tamer et Julien Favart, visite de l'intérieur de cet endroit artistique.



© Nicolas Lebrun.
C'est un lieu chargé de son histoire où Zola aurait pu poser sa plume pour écrire "L'Assommoir" (1876) tant l'endroit respire une époque dans laquelle les années semblent avoir épousé les murs, mais aussi les combats, ceux du Lavoir Moderne Parisien (LMP), pour un enrichissement et un échange culturels accueillant l'étranger ou le voisin de palier. Anciennement était situé un lavoir à son rez-de-chaussée actuel, la structure en garde encore aujourd'hui un témoignage avec une scène de 10 m x 10 m habillée de murs, aux briques blanches, soutenus par des poutres en bois. La jauge est de 70 personnes. Au premier étage se découvre une grande salle presque rectangulaire où se déroulent épisodiquement quelques expositions et répétitions.

Les Femen y ont installé leur camp d'entraînement international en 2012. Elles en ont fait leur premier siège français international. Le LMP est une structure où les arts entrent par la grande porte. C'est le rachat de son bail effectué en 2014 par la compagnie théâtrale "Graines de Soleil", afin d'éviter la transformation du lieu par le propriétaire pour d'autres finalités, qui a permis sa pérennité. Il est une chambre d'écho qui fait entendre la voix des uns, des autres, des plus faibles, des opprimés et des oubliés, pour faire cohabiter des mondes de plus en plus séparés par une ignorance et une peur irrationnelle, à penser les plaies avant de les panser au travers de l'Art. Quoi de mieux que la musique, la chanson, le théâtre et la danse pour porter ce combat qui est devenu encore plus urgent aujourd'hui ? Le LMP se donne à cœur de faire découvrir un Autre et Ailleurs dans cet Ici.

Accueil, billetterie et bar © Zélie Martinez-Almoyna.
Situé dans le XVIIIe arrondissement de Paris, c'est le seul théâtre du quartier de la Goutte d'Or, niché dans la rue Léon, à proximité d'une rue commerçante et passante, celle d'Oran. L'endroit incarne la vision de Khalid Tamer et Julien Favart, respectivement directeur et codirecteur et directeur artistique du LMP, de faire acte d'Art dans un quartier populaire délaissé, entre autres, par la culture. Ils sont l'autre visage du 6ᵉ art, et complémentaire à celui de la Comédie-Française, en étant en écho perpétuel avec ce qui fait le monde actuel. Les deux bureaux et la loge des artistes, avec sa cuisine attenante, sont à l'image de l'approche simple et directe de l'équipe. Cette simplicité laisse place à une vraie exigence sur la programmation et les ambitions artistiques de la structure.

Avec un flair artistique indéniable et détecteur de talents, le LMP accompagne les jeunes artistes encore habillés du manteau de l'inexpérience et de la robe de la "première" fois. Pour Khalid Tamer : "Souvent, nous allons prendre des risques, là où beaucoup de théâtres aujourd'hui financièrement ne prendront pas beaucoup de risques, car nous, en fait, on est un peu la première feuille en pariant sur un jeune artiste".

Présentation de saison par Julien Favard et Anaïs Robbe © Zélie Martinez-Almoyna.
Pour Julien Favart : "On se pose la question du public, bien évidemment. Faire du théâtre, mais pour qui et comment ? (…) Comment élargir, trouver un nouveau public ? (…) Nous proposons un miroir au public de ce qui se passe sur scène et qui ressemble à la société actuelle et c'est dans ce sens-là, qu'on accompagne le renouvellement avec les nouvelles écritures, avec les nouveaux artistes, avec les émergents. Et là-dedans, on a un regard attentif (…). C'est quand même assez compliqué pour quelqu'un qui débarque à Paris et qui ne connaît personne d'être programmé (…) On est capable de lui offrir sa chance et une programmation".

Là, sont passés, entre autres, encore inconnus, Valère Novarina, Joël Pommerat, les Têtes Raides, Abd Al Malik. Et aussi Youssou N'Dour, Biyouna. "Tous les rejetés qui, à un moment, ne sont pas d'accord avec des règles qui se disent d'Art et c'est pour ça que l'Art est vaste." Alors, le LMP les accueille comme Lola Lafon, "car, oui, il fallait la défendre", ou Brigitte Fontaine, "à une époque où tout le monde n'en voulait pas". "On est un endroit où on va toujours chercher ceux qui ont une nouvelle forme poétique à dire, à défendre, que ce soit en théâtre, en danse, en musique", rappelle Khalid Tamer.

Ici, se jouent des "spectacles qui racontent le monde". Ainsi, en précurseur et avant tout le monde, en 2005-2006 jusqu'en 2010, le LMP avait programmé la pièce "Les soldats inconnus" pour faire sortir de l'oubli la figure des tirailleurs sénégalais, des goumiers marocains et des soldats inconnus de la Seconde Guerre mondiale.

Salle dédiée aux expositions et aux répétitions © Zélie Martinez-Almoyna.
Pour Khalid Tamer, "la France est comme un fleuve avec ses rivières et, aujourd'hui, ses diasporas". Le LMP fait du "théâtre politique dans le sens poétique du mot, mais pas dans le sens gauche-droite-vert. À partir du moment qu'on est sur le plateau, c'est un acte". Et cet acte se multiplie depuis des années dans leur programmation, leurs festivals et événements. C'est ce qui fait leur marque de fabrique.

Au nombre de ceux-ci, le LMP organise "Le Banquet Culture de la rue Léon" où depuis cinq ans, il ouvre ses portes à la rue et à ses nombreux passants, ses visiteurs et curieux du moment, autour de spectacles et d'un repas partagé le samedi soir. Le tout gratuitement. Artistes de stand-up, de la rue et de la scène, des concerts, de la musique investissent le quartier de la Goutte d'Or. Les arts sont offerts à tous et au plus grand nombre.

Comme le dit Khalid Tamer, "c'était l'époque de Molière où tout se finissait en banquet, en repas. Nous, on commence par ce banquet culturel notre année". Le LMP accueille et accompagne aussi d'autres festivals comme celui de musique classique, "La semaine classique du Lavoir", au sein de ses locaux, porté par l'association "Le Ponton des Arts". C'était la 5ᵉ édition en 2023. Il y a aussi le festival "Écarts", organisé par le Bureau des Arts de Sciences Po Paris, qui réunit une sélection de projets portés par de jeunes compagnies étudiantes.

Se déroule aussi "Le Lavoir en famille" qui est une programmation jeune public, créée en partenariat avec les Tréteaux de France et avec le CDN de Sartrouville. C'est la deuxième édition cette année. Trois spectacles sont proposés aux jeunes enfants, de 3-4 ans à 8 ans, et à leur famille durant les vacances scolaires.

© Zélie Martinez-Almoyna.
Autre festival, "Africapitales" a pour objectif de mettre en relation artistique et culturelle, Paris avec une capitale du continent africain. Il y a eu Bamako (2022) puis Kigali (2023) et Cotonou (2024). L'année prochaine, ce sera Dakar. Ce festival fait un éclairage d'un pays de l'Afrique qui est appréhendée, en règle générale, avec une grande myopie, comme un vaste bloc noir, sans faire de nuances et de distinctions entre les pays. Là, un focus est effectué sur une capitale d'un État africain dont Paris, grâce et avec le LMP, accueille les artistes pour des représentations durant un mois et où ensuite, le festival se poursuit dans la capitale conviée avec des danseurs, comédiens et musiciens français. C'est un véritable échange qui s'opère entre les deux villes, les deux nations, les deux continents.

"Habiter le monde" est un vaste projet qui a été pensé après la COVID quand la Mairie de Paris avait préempté le LMP en 2020 et où durant les six saisons précédentes, "Graines de Soleil" avait continué son travail de programmation exigeante afin de le faire vivre. "Habiter le monde" se donne l'ambition de "savoir comment faire parler le monde à travers l'Art et d'ouvrir les portes à toutes les cultures et toutes les langues". Ce qui a donné naissance à des festivals comme, entre autres, "Africapitales".

Dans un futur proche, l'objectif est de faire venir des spectacles européens. Dans la même veine, c'est celui aussi mené actuellement avec le ministère de la Culture et l'Institut du Monde Arabe, pour avoir des représentations de trois pièces de langue arabe en 2024. Et puis autre ambition, et non des moindres, "celui de travailler avec d'autres espaces en France (…) et de faire des centres nationaux du quartier".

Actuellement, l'équipe est en médiation avec la Mairie de Paris.

Nous espérons pouvoir les retrouver l'année prochaine et encore de nombreuses années pour continuer "Habiter le monde" et faire perdurer le Lavoir Moderne Parisien avec une programmation aussi exigeante et audacieuse.

L'interview s'est déroulée le vendredi 19 avril dans les locaux du Lavoir Moderne Parisien avec Julien Favart et, à distance, avec Khalid Tamer.

Le Lavoir Moderne Parisien

La grande salle © Zélie Martinez-Almoyna.
Fabrique des émergences créatives - Théâtre, musique et danse.
35, rue Léon, Paris XVIIIe, 01 46 06 08 05.
>> lavoirmoderneparisien.com

L'équipe du Lavoir Moderne Parisien
Directeur : Khalid Tamer.
Co-directeur et directeur artistique : Julien Favart.
Directrice artistique adjointe : Anaïs Robbe.
Directeur technique : Mathieu Rodride.
Administratrice : Sarah Janin.
Chargée de coordination, production et développement local : Jeanne Jezequel.
Chargée de billetterie et des relations publiques : Nattie Tweh.
Assistante chargée de communication : Zélie Martinez-Almoyna.
Chargé d'accueil et des compagnies : Zakariae Heddouchi.

Safidin Alouache
Vendredi 26 Avril 2024
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