Théâtre

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" L'œuvre intemporelle de Balzac rendue palpitante par la grâce de Catherine Aymerie

La nouvelle de Balzac, "Le Chef-d'œuvre Inconnu", met en scène trois peintres qui représentent trois générations, comme un échantillon de l'espèce humaine. Il y a Nicolas Poussin dans sa prime jeunesse, et puis Porbus, peintre ayant atteint sa pleine maturité et le faîte de son art, et enfin un vieillard dégarni, l'œil mat, courbé, que l'auteur a nommé Frenhofer. C'est à travers l'œil innocent et naïf du jeune Poussin que l'auteur nous fait pénétrer dans les arcanes les plus secrètes de la création picturale. Et c'est en intégrant un personnage fictif et radical aux deux premiers personnages réels qu'il parvient à emmener cette réalité vers le fantastique.



© Jean-François Delon.
Le mystère de la création est le centre de cette histoire. Et le désir de découvrir ce mystère mène toute l'intrigue du récit. Il s'agit aussi de passation culturelle entre un très vieux maître et un jeune novice. Catherine Aymerie en joue tous les personnages. Elle a également adapté le texte original. Avec une simplicité et une intemporalité bien servie par le décor naturel de la salle voûtée de l'Essaïon, la comédienne nous emporte dans cette rencontre, presque comme une conteuse au départ, puis incarnant chaque personnage sans une once d'excès, mais en donnant d'un geste ou d'un changement d'élocution chacune de leurs personnalités.

La mise en scène de Michel Favart lui donne l'espace et les respirations nécessaires à ce jeu délicat. Quelques interventions musicales de Massimo Trasente et des changements d'espaces créés par les lumières de Kostas Asmanis aident à rythmer la narration. Mais n'attendez aucun effet artificiel facile pour ce drôle de voyage au pays des mots et de la quête de beauté.

© Jean-François Delon.
Catherine Aymerie entreprend de réaliser, d'une certaine manière, tout ce que Balzac distille dans les paroles du vieillard : l'idée même de l'art pictural que le vieil artiste défend comme un art divin. Un art qui doit parvenir à rendre la vie, l'émotion, le mouvement palpable et non pas se contenter de copier la réalité. Même l'air, ses mouvements, ses transparences. Jusqu'à la pulsation du sang dans les veines, sous la nacre de la peau. L'actrice tente ainsi d'instiller la vie dans l'alignement rectiligne des lettres alphabétiques. Elle parvient à prouver par son jeu, son timbre de voix, ses gestes purs et suspendus, l'intensité de ses regards et l'intimité de ses émotions, la possible rareté du prodige de l'art, cette fois théâtral, comme un reflet de la magie possible de l'art pictural dont il est question durant tout le texte de Balzac.

Et l'on comprend qu'Honoré, dans sa nouvelle, ne fait pas qu'exposer des idées théoriques sur la peinture et l'art en général, mais qu'il se sert du canevas qu'il a imaginé pour hurler sa foi dans l'idéal de beauté et la pureté et la radicalité qu'exige une œuvre. Ce ne sont pas des mots enfilés les uns après les autres, ou des notes de musiques sur une partition, ou du crayonné recouvert de couches successives qui font une œuvre, mais une sorte de génie qui se nourrit de l'artiste en entier. Un artiste qui se doit de tout sacrifier à la réalisation de cette œuvre, non pas rivale de nature, mais l'enrichissant comme un ajout à la Création.

© Jean-François Delon.
Au fond de cette histoire qui pourrait se résumer, comme l'a fait Jacques Rivette dans son film "La belle noiseuse", par la rencontre entre un jeune novice et un immense maître, il plane l'idée du sacrifice pour l'art, ou du moins du sacrifice nécessaire pour insuffler dans une création suffisamment de vitalité pour qu'elle devienne chef-d'œuvre. C'est ainsi que le jeune Nicolas Poussin sacrifiera son amour pour la jeune beauté qui l'aime à son désir de découvrir les secrets de l'art dont il a soif. Un sacrifice qui vient en miroir égal avec le sacrifice engagé par le vieillard chenu, Frenhofer : dix ans de vie pour espérer réaliser enfin son chef-d'œuvre.

"Le Chef-d'œuvre inconnu"

© Jean-François Delon.
D'après la nouvelle d'Honoré de Balzac.
Adaptation théâtrale et jeu : Catherine Aymerie.
Mise en scène : Michel Favart.
Musique : Massimo Trasente.
Lumière: Kostas Asmanis.
Scénographie et costumes: Florence Evrard.
Par la Compagnie "Théâtre de la Rencontre" créée par Paula Brunet Sancho en 1984.
Durée : 1 h 10.
Tout public.

Du 27 mars au 27 juin 2023.
Lundi et mardi à 19 h 15, dimanche à 19 h 30.
Théâtre Essaïon, Paris 4e, 01 42 78 46 42.
>> essaion-theatre.com

Bruno Fougniès
Mardi 11 Avril 2023
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