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Le Châtelet fait son Jazz… vivement la suite !

Du 5 au 12 mars a eu lieu au Théâtre du Châtelet, la première édition du festival "Châtelet fait son Jazz" avec une riche programmation qui a vu se produire sur scène, entre autres, Tigran Hamasyan, Richard Bona et Avishai Cohen. Le festival peut être appréhendé comme une (re)découverte ou une excursion, autant pour les initiés que pour les néophytes, pour les jeunes que pour les moins jeunes, du monde du jazz avec ses rythmes latinos, manouches et Klezmer.



Arnaud Dolmen © Tiwel.
Tigran Hamasyan, pianiste arménien, fixe son instrument, tête fréquemment baissée, comme pour extirper une note du fin fond d'un dédale pianistique. La tonalité reste souvent légère, parfois appuyée mais toujours soutenue. C'est un retour car, déjà en 2011, à 24 ans, il s'était produit sur cette même scène du Châtelet "à l'acoustique parfaite" selon ses dires. Le public, nombreux, était alors venu voir ce phénomène qui avait publié son quatrième album et qui avait déjà l'habitude de se produire dans de grands festivals comme ceux de Montreux ou de Marciac.

Tigran Hamasyan est le Mozart du piano. Le parallèle peut être rapide et facile. Et pourtant, à bien des égards, ce génie musical arménien, vivant actuellement à Venise après avoir jeté précédemment son dévolu sur Los Angeles, a quelques similitudes de précocité avec notre célèbre compositeur autrichien. Il a commencé à jouer du piano à 2 ans et a fait ses premières compositions dès ses 12 ans. À 13 ans, lors du festival de Jazz d'Erevan, il attire entre autres l'attention de Chick Corea (1941-2021) et il publie son premier album, "Nocturne" (2006), à 19 ans.

Tigran Hamasyan © Davide Monteleone.
C'est avant tout son lien, exclusif, à son instrument qui interpelle au premier abord. Ses bras se croisent parfois l'un sur l'autre comme point focal d'un tronc qui appréhende avec sa stabilité l'instrument. Son univers musical embrasse le jazz et le classique, lui qui s'est nourri très jeune de Led Zeppelin et des Beatles. Il démarre le dernier rappel, de fin de concert, en le débutant en solo, lançant quelques notes chirurgicales tel un virtuose, les déclinant ensuite, en lead d'attaque, une à une. Il émane de cette mélodie tout un univers de passion salvatrice.

Passion salvatrice car les notes accompagnées superbement à la batterie par Jonathan Pinson alternent des chorus très rythmés et appuyés, et d'autres dans une tonalité beaucoup plus basse comme si chaque accord qui s'envolait de son piano ne pouvait s'accompagner que de lui-même tout en étant relié aux autres. La batterie est en appui ou, de temps en temps, en décalé de Tigran Hamasyan. Le piano semble respirer et faire corps avec notre artiste. Il devient comme repli et rebond, attaquant parfois le tempo ou l'enrobant dans un enchaînement d'accords où le jeu est souvent dans les ruptures, aussi bien dans, qu'entre, chacun des morceaux.

Au milieu, à la contrebasse, Rick Rosato enchaîne les accords, alimentant une ligne mélodique soutenue. Le piano, toujours en lead, est dans un dialogue constant avec la batterie, comme avers et envers d'une pièce musicale où la contrebasse en est le support.

Dans son dernier album "StandArt" (2022), notre compositeur reprend des classiques du jazz tel que "De-dah" d'Elmo Hope (1923-1967) au rythme parfois presque endiablé autant au piano, à la batterie qu'à la contrebasse ou "Laura" d'Errol Garner (1921-1977). Durant 1 h 30, avec deux rappels, dont "When a woman loves a man", le prodige arménien fait étalage de son talent en créant une musique aussi bien charpentée que légère, riche de ses nuances, de ses attaques que de ses ruptures.

Avishai Cohen © Yoko Higuchi.
Auparavant, JaRon Marshall était en première partie. À la batterie, dans un tempo là aussi très rythmé, Michel Longoria l'accompagne. À la basse, Chris Loveland, la jambe gauche reposée sur celle de droite, enchaîne les accords, en toute décontraction, comme à l'image de la musique qui est d'une tonalité, au démarrage, douce et légère. À la barre, les notes s'écoulent avec Jaron Marshall derrière son clavier. Celui-ci est aussi discret que la basse avec, de temps en temps, quelques envolées sans pour autant qu'un coup d'éclat musical vienne bousculer le mouvement, toujours soutenu et subtil.

Le saxophone alterne avec la flûte traversière, le tout aux commandes de Brian Donohoe. Avec la batterie, le saxophone se lance dans un tempo très rythmé, enveloppant quand la flûte traversière y apporte une touche légère, discrète et furtive. Avec son album "The Gold Tapes 1-3" (2020), JaRon Marshall nous avait emmenés vers différents rivages musicaux comme le funk, le jazz, le R&B, le néo-soul et le hip-hop. Ayant un style très varié, ce musicien producteur arrive à mêler différentes sonorités, toujours en appui de son clavier, apportant une lame de fond à une musique où les instruments à vent et à corde, pour le concert du 9 mars, sont en première ligne.

Pour cette 1ère édition de son festival, le Théâtre du Châtelet inaugure une ligne éditoriale audacieuse en embrassant différents publics et différents âges, aussi bien scolaires que pour les plus jeunes avec ses "Berceuses et balladines jazz" et ses "Jazz & goûter du Sunset" qu'en direction des initiés ou des néophytes de jazz. En espérant que bien d'autres éditions viendront à sa suite.

La représentation, sujet de l'article, a eu lieu le 9 mars 2023.

Châtelet fait son jazz

Minor Sing © E. Soudan.
Festival ayant eu lieu du 5 au 12 mars 2023.
Durée première partie : 30 minutes. Deuxième partie : 1 h 30.
>> Théâtre du Châtelet

Programme du festival
"Le carnaval jazz des animaux" le 5 mars ;
Tigran Hamasyan "StandArt" le 9 mars ;
"Berceuses et balladines jazz" le 10 mars ;
"David Krakauer & Kathleen Tagg's Mazel Tov Cocktail Party !" le 10 mars ;
"Minor Sing" le 11 mars ;
Arnaud Dolmen "Adjusting" le 11 mars ;
"Richard Bona" le 11 mars ;
"Jazz et goûter du Sunset" le 12 mars ;
Avishai Cohen Banda "Iroko" le 12 mars.

Safidin Alouache
Mercredi 15 Mars 2023
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