Lyrique

"Lady Macbeth de Mzensk" à l'usine…

Débuts tonitruants du metteur en scène Dmitri Tcherniakov à l'Opéra de Lyon, avec une nouvelle version de sa production créée à Düsseldorf du sublime opéra de Dimitri Chostakovitch, "Lady Macbeth de Mzensk". Avec une Katerina Izmaïlova transcendée par l'étonnante soprano lituanienne Ausrine Stundyte, l'opéra expressionniste du compositeur russe déçoit pourtant ici dans cette version un rien trop ironique et clinique.



© Jean-Pierre Maurin.
Voilà typiquement l'opéra que les amateurs d'art lyrique idolâtrent et qu'ils courraient voir où qu'il se joue - pour son livret noir et sulfureux, sa partition grandiose, sarcastique et sexuellement explicite, pour son histoire aussi. Créée en 1934 à Moscou et Leningrad avec le plus vif succès, l'œuvre est officiellement désavouée par le régime en 1936 après plus de deux cents représentations - prélude à une nouvelle vague de terreur dans la Russie soviétique et à une mise au pas des artistes et intellectuels n'ayant pas l'heur de plaire au petit père des peuples.

Dernier opéra achevé par Chostakovitch (1), accusé dans la "Pravda" de formalisme petit-bourgeois, il est interdit et connaît une seconde vie en 1962 dans une version plus sage désormais titrée "Ekaterina Izmaïlova". On sait ce que fut la vie du compositeur connaissant alternativement diatribes et honneurs avec une carrière façon montagnes russes.

© Jean-Pierre Maurin.
"Lady Macbeth de Mzensk" devait à l'origine ouvrir la tétralogie qu'envisageait dès 1930 le compositeur, né à Saint-Pétersbourg, autour de la figure de la femme russe passée et future. Ayant frôlé l'arrestation, Chostakovitch se le tint pour dit et n'envisagea pas de suite à cette histoire d'une meurtrière provinciale au temps des tsars tirée d'un roman paru en 1865 de Nikolaï Leskov (2). Son succès ne se démentira cependant pas et l'opéra sera joué sur les scènes du monde entier (dans sa version originale). C'est que cette "tragédie-satire" a tout pour séduire quand elle est portée par une équipe artistique idoine. Elle constitue sans aucun doute un des chefs-d'œuvre du répertoire du XXe siècle.

Avec une chanteuse étonnante telle Ausrine Stundyte, le personnage de Katerina est assurément inoubliable. Engagement scénique total, pur éblouissement d'un soprano d'airain capable aussi d'émouvantes fêlures, son interprétation de la rébellion tragique d'une femme écrasée par une société mesquine, corrompue et patriarcale impressionne. Si la mise en scène de Tcherniakov se révèle à son habitude très pertinente dans la caractérisation précise des personnages, elle convainc moins quant au choix d'une transposition dans une usine moderne de l'ère Poutine. Les sarcasmes et les convulsions de cette parade sauvage sont clairement traduits sur le plateau avec la crudité qui convient mais le lyrisme y respire mal - à l'image de ce cube entièrement tapissé de tapis orientaux au centre de l'usine et de la scène où végète une héroïne sexuellement frustrée.

© Jean-Pierre Maurin.
Quand au dernier acte, les protagonistes sont en route pour le goulag sibérien, l'épopée tragique des damnés (que célèbre la partition) avorte dans une cellule sordide sans aucun horizon : chez Tcherniakov plus de convoi, plus de lac régénérateur où se noyer. Le trio des amants Katerina, Sergeï et de la petite prostituée Sonietka se déchire comme des hyènes en cage. La direction de Kazushi Ono déçoit de même. Le motif de l'aliénation de l'héroïne, sa victoire (forcément condamnée) sur le destin, valait mieux que le choix de cette lenteur exaspérante du tempo venant régulièrement alourdir ce qui devrait être une partition de lave et de feu.

Notes :
(1) Après la parution d'un article assassin dans l'organe du pouvoir, Chostakovitch est sommé de se présenter au NKVD (ex KGB) où il échappe de justesse à une condamnation grâce à l'exécution de l'officier chargé d'instruire son dossier. Il échoue à terminer un autre opéra jusqu'à sa mort en 1975.
(2) Le roman de Leskov était tiré d'un fait-divers. Une femme de marchand avait assassiné mari et beau-fils pour épouser son amant.

© Jean-Pierre Maurin.
Mercredi 27, vendredi 29 janvier, mardi 2, jeudi 4, samedi 6 février 2016 à 20 h.
Dimanche 31 janvier 2016 à 16 h.


Opéra national de Lyon, 1, place de la Comédie Lyon 1er.
Tél. : 04 69 85 54 54.
>> opera-lyon.com

"Lady Macbeth de Mzensk" (1934).
Opéra en quatre actes.
Musique de Dimitri Chostakovitch (1906-1975).
Livret du compositeur et d'Alexandre Preis.
En langue russe surtitrée en français.
Durée : 2 h 45 sans entracte.

Kazushi Ono, direction musicale.
Dmitri Tcherniakov, mise en scène et décors.
Elena Zaytseva, costumes.
Gleb Filshtinsky, lumières.

Ausrine Stundyte, Katerina.
Vladimir Ognovenko, Boris.
Peter Hoare, Zinovyi.
John Daszak, Sergeï.
Clare Presland, Aksinia.
Jeff Martin, l'Ivrogne.
Gennady Bezzubenkov, le Pope.
Almas Svilpa, le Chef de la Police.
Michaela Selinger, Sonietka.

Orchestre et chœur de l'Opéra de Lyon.
Philip White, chef des chœurs.

Christine Ducq
Mercredi 27 Janvier 2016
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