Théâtre

"La Danse de mort"… Cette joie de vivre paradoxale n'est qu'un songe plein d'ironie

"La Danse de mort", Théâtre La Reine Blanche, Paris

Dans "La Danse de mort" d'August Strindberg, les personnages d'Edgar et d'Alice fêtent leurs noces d'argent. Ayant passé vingt-cinq ans côte à côte dans l'aigreur des jours, au milieu des rêves de gloire éteints, ils sont à bout. C'est aux confins de la Suède.



© Pascal Gély.
Dans la mise en scène de Stuart Seide, la scénographie est épurée, le plateau quasi nu, réduit à l'essentiel, et la conduite d'acteur précise. Le jeu ne verse jamais dans la caricature. L'intensité croît sans relâchement au fur et à mesure de l'avancée des scènes par paliers de respiration. La pièce révèle toutes ses qualités d'écriture. Pour les comédiens, elle est un espace de jeu rêvé aux confins du drame, à la marge de la farce, en bordure de faits divers.

C'est sans résistance que le spectateur entre dans la danse à la découverte de deux virtuoses (Jean Alibert et Hélène Theunissen), dans un art de la guerre domestique conçue comme une guerre de siège méticuleuse, une guerre psychologique précise et manipulatrice avec ses enfermements, ses tranchées, ses leurres, ses gesticulations, ses escarmouches, ses piques et ses silences lourds.

Et lorsqu'un tiers, Kurt (Pierre Baux), fait irruption et devient, par la force des choses, forcément, l'allié de l'un et le traître de l'autre, c'est avec bonheur que le spectateur discerne comment ces vingt-cinq ans de conflits larvés dégénèrent en guerre de mouvement. Que l'ivresse du champ de bataille s'empare des corps et des âmes jusqu'à l'assaut final. Kurt est un ressort dramatique, un point de repère au sein d'un espace d'écriture qui concentre et dilate les situations, conduit les personnages dans un espace flottant de la conscience, celui du passage à l'acte.

© Pascal Gély.
À chaque changement de scène, le mensonge devient plus agissant. En corollaire, les suspicions montent. L'anodin devient dangereux. Le calme devient de plus en plus instable et menaçant, les propos changent de couleur et de nature, les sous-entendus se font tangibles. Le temps lui-même se tord. Réel, fantasmé, instantané, de longue durée, son élasticité faisant douter de la réalité. La pièce, nourrie des connaissances du neurologue Jean-Martin Charcot, dessine une trajectoire en direction de la folie. C'est un escalier vers le drame. C'est une montée aux supplices. Cela est saisissant de réalisme banal tout autant que de fantastique.

Dans cette histoire, il n'est point de suppliques possibles. No Mercy. Le combat est un combat à mort dans la ruse comme dans la force. "La Danse de mort" est un drame qui avance scène après scène. En autant de tours de vis. La pièce avance vers l'irrémédiable, vers son propre anéantissement.

Et par là même, ce drame est un drame comique. En ce sens que le dispositif, la situation, les dialogues et le jeu renvoient à une forme éternelle de l'homme. Celle de sa théâtralité nécessaire, de l’affirmation de la fiction nécessaire. Qui fait que face à une réalité une contre réalité s’impose à l’homme, une manière de conjurer le mauvais sort qui lui est fait. La farce universelle. Le spectateur partage alors le plaisir de jouer des comédiens et c'est dans une complicité malicieuse qu'il applaudit très fort cette joie de vivre paradoxale qui lui est montrée et qui n'est qu'un songe plein d'ironie. Du théâtre.

"La Danse de mort"

© Pascal Gély.
Texte : August Stringberg.
Traduction : Terje Sinding.
Mise en scène : Stuart Seide.
Assistante mise en scène : Karin Palmieri.
Avec : Jean Alibert, Pierre Baux, Karin Palmieri, Helene Theunissen.
Scénographie : Angeline Croissant.
Lumière : Jean-Pascal Pracht.
Son : Marc Bretonniére.
Costumes : Sophie Schaal.
Coiffures et maquillages : Catherine Nicolas.
Régie générale/Peintre décorateur/Accessoires : Ladislas Rouge.
Compagnie C/T Stuart Seide.
Durée : 1 h 40.

Du 27 septembre au 29 octobre 2017.
Du mercredi au samedi à 20 h 45, dimanche à 15 h 30.
Théâtre La Reine Blanche, Grande Salle, Paris 18e, 01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

Jean Grapin
Vendredi 6 Octobre 2017
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