Théâtre

"La Conférence des oiseaux", entre voyages intérieurs touchant à notre humanité/animalité et exploration migratoire

"La Conférence des oiseaux", Théâtre des Quartier d’Ivry, Ivry-sur-Seine et en tournée

Un jour, tous les oiseaux, ceux qui sont connus, mais aussi les inconnus, se réunirent en conférence et déclarèrent : "cessons nos guerres intestines et cherchons Simorg, notre roi". Sous l'initiative de la huppe, ils se mirent en chemin, mais longue est la migration vers le pays désiré où un roi est espéré. Et à la fin du voyage… découvrirent que le roi, c'était eux.



© Laurent Schneegans.
"La Conférence des oiseaux" est à l'origine un conte poétique soufiste, partie intégrée et conséquente (avec "Le Livre des conseils") de l’œuvre du poète persan Farîd al-Dîn Attâr. Adapté en récit théâtral par Jean-Claude Carrière, il est ici mis en scène par Guy Pierre Couleau qui en extrait autant l'intériorité que l'extériorité, étant de ce fait en total accord avec la doctrine soufisme qui associe l'aspect ésotérique à l'aspect exotérique, cela se caractérisant par un voyage initiatique riche d'apprentissages, permettant d'accéder à la connaissance, au repos de l'âme.

Dans sa proposition, Guy Pierre Couleau dessine à la fois un périple intérieur - touchant à notre humanité/animalité, à nos souffrances, à notre capacité à l'amour - et une exploration migratoire. Usant du fait que chaque conte composant le récit est une parabole devant donner un sens à chacun des personnages, leur donner le sens du voyage, d'accepter de mettre sa vie en péril, les convaincre de la nécessité d'une nouvelle quête, il crée pour chacune des sept vallées - que doivent traverser les oiseaux - des univers spécifiques parfaitement adaptés au sens de celles-ci : recherche, amour, connaissance, néant, unité, stupeur et mort. Chaque fable bénéficie d'une mise en forme spécifique, du théâtre d'objets à la représentation burlesque d'objets "humains".

© Laurent Schneegans.
Le monde des hommes (dans les histoires symboliques) et celui des oiseaux sont alors bien dissociés, notamment, en dehors des masques, par les expressions et les attitudes corporelles. À noter les magnifiques réalisations de têtes d'oiseau de Kuno Schlegelmilch*, à la fois visuellement colorées et plumés, et étant très légère (cela se constatant lors de la mise et le retrait du masque). Les comédiens, chacun titulaire d'une variété particulière - huppe fasciée, canard, perdrix, paon, perruche, hibou, moineau, rossignol, faucon, etc. -, expriment de significatifs gestes, métaphores animales, très "volatiles", chacun dans sa démarche, dans son attitude gestuelle donne vie à l'espèce qu'il représente.

La scénographie, respectant la simplicité et la beauté de la symbolique soufiste, met immédiatement le spectateur devant un engagement "à vue" du jeu, de la mise en scène, construit sur le concret de la narration qui lie intimement trivialité et poétique, adresse directe au public et incarnation de l'essence du texte.

© Laurent Schneegans.
Dans une belle cohérence, le décor est composé, en fond de scène, d'un ensemble de tables de loges alignées (avec miroir de maquillage à trois glaces), sur lesquels se trouvent posés les têtes d'oiseaux, et de quelques éléments rappelant l'environnement naturel qui existe encore un peu à travers le monde.

Sur ce plateau très ouvert, les acteurs-conteurs, tout en connivence, passent d'une interprétation très imagée, ludique et joyeuse, d'une gestique animale, à un retour à leur condition d'Homme, à leur propre corps de femmes et d'hommes. Cela débute lorsque les anecdotes sont narrées, ôtant leurs têtes d'oiseau pour redevenir humain. S'agissant aussi ici d'une quête vers la connaissance, le pays rêvé (intérieur ou celui qui accueille), mais aussi d'une parabole migratoire, tout comme la diversité des êtres à plumes, celle des nationalités est respectée, faisant entendre des langues, des voix différentes, venant des quatre coins du monde.

© Laurent Schneegans.
Long est le chemin qui mène vers la sagesse, la reconnaissance de soi et de l'autre... Que de déserts à franchir. Que de secrets à découvrir. Oiseaux migrateurs ou migrants, au XIIe siècle ou aujourd'hui, ceux en quête, volontaire ou pas, d'un nouvel espace, spiritualité ou royauté, sont à la recherche du sens à donner à leur vie et et veulent retrouver la vraie fierté d'exister.
"Ne te regarde pas avec mépris car rien n'est au-dessus de toi."

À la fin du voyage, ils se rendirent compte que Simorg, c'était eux. Le miroir leur renvoya leur image. Le soleil de ma majesté est miroir.
Les oiseaux sont Simorg, ils sont leur propre roi. Nous sommes notre propre roi…

* Maquilleur et facteur de masques pour Patrice Chéreau ("La Reine Margot") ou Bob Wilson ("Les Fables de La Fontaine").

"La Conférence des oiseaux"

© Laurent Schneegans.
Texte : Jean-Claude Carrière (inspiré par le poème "Manteq Ol-Teyr" de Farid Uddin Attar).
Mise en scène : Guy Pierre Couleau.
Assistante mise en scène : Christelle Carlier.
Avec : Manon Allouch, Nathalie Duong, Cécile Fontaine, Carolina Pecheny, Jessica Vedel, Emil Abossolo M’bo, Luc-Antoine Diquéro, François Kergourlay, Shahrokh Moshkin Ghalam, Nils Öhlund.
Collaboration artistique : Carolina Pecheny.
Scénographe : Delphine Brouard.
Lumières : Laurent Schneegans.
Masques : Kuno Schlegelmilch, assisté de Hélène Wisse.
Costumes : Camille Pénager.
Musique : Philippe Miller.
Régie générale : Alexandra Guigui.
Accompagnement chorégraphique : Catherine Dreyfus.
Durée : 1 h 30.
Par la Compagnie Des Lumières et Des Ombres.

Du 11 au 22 février 2019.
Lundi, mardi et vendredi à 20 h, jeudi à 19 h et dimanche à 16 h.
Théâtre des Quartier d’Ivry - CDN du Val-de-Marne, Manufacture des Œillets, Salle La Fabrique Ivry-sur-Seine (94), 01 43 90 11 11.
>> theatre-quartiers-ivry.com

Tournée
26 mars 2019 : Scènes Vosges - La Souris Verte, Épinal (88).
5 avril 2019 : Le Carré, Sainte-Maxime (83).
9 au 13 avril 2019 : Centre dramatique de l'Océan Indien, La Réunion.

Gil Chauveau
Jeudi 21 Février 2019
Dans la même rubrique :