Théâtre

"La Cantate à trois voix"… Poème musical dansé

La Cantate à trois voix", Théâtre de l'Épée de Bois, Paris

De cette œuvre méconnue de Claudel, le compositeur et metteur en scène Tarik Benouarka, en donne une lecture rythmée. Le poème de l'auteur fait écho à une forte présence scénique où l'émotion soutenue par un violoncelle fait gracieusement chorus à l'œuvre.



© Victor Feres.
Paul Claudel (1868-1955) au théâtre est toujours difficile à mettre en scène. La puissance du verbe, la haute valeur poétique des vers, la structure des phrases sont le cachet d'un homme, épris de passion, où sa vie se mêle indissociablement à son œuvre. Jouer l'amour impossible avec des mots sertis du langage particulier de l'auteur où l'alibi du désir donne toute licence poétique est difficile à retranscrire corporellement.

Du "Partage de midi" (1905) au "Soulier de satin" (1929), ses créations sont souvent liées à l'amour de sa vie, Rosalie Vetch* (1871-1951), rencontrée sur un bateau en 1905 en partance vers la Chine.

"La Cantate à trois voix" (1911) est une création où la figure, l'absence et le désir de Ysé, "sa Rosalie", sont omniprésents. Ce sont trois images de femmes à des étapes différentes de l'amour avec Laeta, qui célèbre le fiancé, Fausta, l'exilée qui s'adresse à celui qui est loin et Beata qui incarne l'absence de celui qui n'est plus.

© Victor Feres.
Le défi est bien relevé avec toutefois le rôle de Meyrieux qui incarne une présence en retrait, en pointillés quelque peu en déséquilibre avec ceux de Pauline Moingeon Valles et Mélodie Le Blay, remarquables dans leurs interprétations où le verbe se fait chair, où l'émotion sécrète son suc pour habiller la passion de son ardeur. La poésie qui se joue sur scène est bien articulée vocalement où la présence de l'une suivi des deux autres donne un bel ensemble en mouvement. Rien n'est statique.

Le décor est nu, seule une sorte de rocher s'impose côté cour. La scène est séparée par des rideaux légèrement transparents où, en arrière-cour, trône Éléonore Siala Bernhardt, la violoncelliste, où les trois comédiennes font aussi leurs entrées-sorties.

La poésie est incarnée émotionnellement, scandée par un rythme où la voix se fait étendard de l'amour. La parole habite le désir avec brio, l'absence est jouée. Toutefois, la gestuelle ne trouve pas toujours sa place. Les visages, les regards, la tension sont au rendez-vous mais la gestique, dans les déplacements dansés, manque un peu de pertinence, la présence étant suffisamment habitée par les comédiennes. La poésie respire par la tension, l'élément vocal et le corps. Car tout est dans le mot, son souffle et son rythme remarquablement bien porté dans les solos.

© Victor Feres.
La musique de Tarik Benouarka, exprimée par le violoncelle de Siala Bernhardt, donne un bel habit, moins lourd à porter, à ce désir lointain où l'absence montre parfois son ombre. Elle en atténue tout le drame donnant une lisibilité scénique très agréable à la création de Claudel, les vers étant habillés de rythme. C'est ainsi que le poème devient une ode presque chantée où la passion s'incarne au-delà des mots dans un tête-à-tête à trois voix.

* Sur sa tombe, en épitaphe, est inscrit ce Haïku de Claudel issu de "Cent phrases pour éventails" (1927), "Seule la rose est assez fragile pour exprimer l'éternité".

"La Cantate à trois voix"

© Victor Feres.
Texte : Paul Claudel.
Mise en espace et mise en scène : Tarik Benouarka et Danièle Meyrieux.
Avec : Danièle Meyrieux, Pauline Moingeon Valles et Mélodie Le Blay.
Musique : Tarik Benouarka.
Violoncelle : Éléonore Siala Bernhardt.
Costumes : Victor Feres.
Lumières : William Orrego Garcia.
Durée : 1 h 15.
Production Le Toucan Théâtre, 21-22, AgoraMusika.


Du 8 au 20 octobre 2018.
Du lundi au vendredi à 20 h 30, samedi à 16 h et 20 h 30.
Théâtre de l'Épée de Bois, Cartoucherie, Paris 12e, 01 48 08 39 74.
>> epeedebois.com

Safidin Alouache
Lundi 15 Octobre 2018
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