Théâtre

"L'absence de guerre"… Une cuisine politique anglaise peu épicée

"L'absence de guerre", Théâtre de l'Aquarium, Paris

La pièce raconte la phase finale des élections anglaises de 1992 lors de laquelle le parti travailliste, donné vainqueur jusqu'aux dernières minutes, échoua face aux conservateurs menés par John Major.



© Marjolaine Moulin.
L'auteur David Hare s'inspire de ces faits réels, dont il a suivi tous les événements de campagne, pour dresser un réquisitoire sans pitié sur le monde de la politique anglaise et, plus généralement, sur les dérives que les grands partis politiques européens effectuent pour se prostituer auprès des pouvoirs médiatiques de plus en plus puissants.

Dans le cercle étroit de la garde rapprochée du candidat travailliste George Jones, où s'agitent divers conseillers mais surtout les fidèles de la première heure, arrive une nouvelle conseillère en communication. L'image et le discours sont au centre des préoccupations.

Entre le chef du parti et son second, c'est une joute de fraternels ennemis qui se joue, mais surtout une soumission totale dans les déclarations faites à la presse, aux paroles communes, aux discours préétablis et aux interdits de sujet : le discours du parti sur les grands thèmes sociétaux doit être non seulement concordant mais identique à la syllabe près. Non, nous ne sommes pas dans un régime totalitaire, mais dans un l'un des fleurons historiques de la démocratie : l'Angleterre.

© Marjolaine Moulin.
Nous voici dans la petite cuisine des coulisses de ceux qui visent le pouvoir. Mais aussi dans la dénonciation de l'emprise des médias qui privilégient la forme sur le contenu au point que le contenu politique lui-même devient plus un argument de vente que de conviction. Les coulisses, dans la politique comme au théâtre, sont des no man's land à mi-chemin entre l'intime et le public : un lieu trouble où l'angoisse et la frénésie peuvent exploser, mais où l'on ne sait pas toujours si ce qui s'y déroule est réel ou joué.

Aurélie Van Den Daele use du procédé de retransmissions en direct sur un écran géant qui domine la scène pour évoquer cet entre-deux où le sincère fait des galipettes avec le factice. Toute la mise en scène est une circulation entre des couloirs, un arrière-plan vitré et le plateau représentant le bureau de campagne, froid et fonctionnel. Des inserts en très gros plans dévoilent ou doublent les scènes, les apartés. Une manière de démultiplier les angles, de créer une frénésie d'images et de sons, de mettre en mouvement permanent les différents épisodes de cette envolée vers la victoire où les petites guerres et les jeux d'influences ne font que proliférer.

© Marjolaine Moulin.
À vouloir tout montrer, tout animer, la pièce et la mise en scène tendent pourtant à faire beaucoup de bruit pour rien (puisqu'il est beaucoup fait référence à Shakespeare). On s'attache au détail, on évite les fractures, et cette volonté cinématographique de rythme, de course, de construction en montage digne d'un thriller télé fait spectacle : c'est un show, que le texte lui-même dénonce.

Cela ne touche en rien la qualité du travail scénographique, filmique, sonore, très léché, ni l'extrême et totalement convaincante implication des comédiens qui, en virtuoses, passent du jeu avec la caméra au jeu pour le public en salle. Un bel écrin pour une belle danse, mais dont les qualités formelles effacent la cruauté et la violence de la politique et de la guerre médiatique évoquées ici.

"L'absence de guerre"

Texte : David Hare.
Traduction : Dominique Hollier.
Mise en scène : Aurélie Van Den Daele, artiste associée du théâtre de l'Aquarium.
Avec : Émilie Cazenave, Grégory Corre, Julien Dubuc (cadreur plateau), Grégory Fernandes, Julie le Lagadec, Alexandre le Nours, Sidney Ali Mehelleb, Marie Quiquempois, Victor Veyron.
Collaboration artistique : Mara Bijeljac.
Scénographie lumière/vidéo, son : Collectif Invivo (Chloé Dumas, Julien Dubuc, Grégoire Durrande).
Binôme scénographie : Charles Boinot.
Costumes : Élisabeth Cerqueira.
Stagiaires assistants : Thibaut Besnard & Pauline Labib.
Par le Deug Doen Group.
Durée : 2 h 30.

Du 8 janvier au 3 février 2019.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Théâtre de l'Aquarium, La Cartoucherie, Paris 12e, 01 43 74 99 61.
>> theatredelaquarium.net

Bruno Fougniès
Mercredi 23 Janvier 2019
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