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"J'ai couru comme dans un rêve" : Revenir à l'essentiel, entre rires francs et larmes retenues

La chronique d'Isa-belle L

Je cours de Saint-Denis à Paris. Je cours pour retrouver mon clavier, taper sur les touches avec énergie. Atteindre mon objectif, sans me faire mal, sans glisser sur la chaussée. Courir. Vite. Bien. Puis écrire. Ce qu’il me vient à l’esprit. Avant de dormir…



© Ghislain Dorglandes.
L’angoisse de la maladie. Somatiser après avoir regardé un foutu programme médicalisé à la télé. Somatiser et choisir la pire des maladies, évidemment. Celle qui noue le ventre. Qui fait trembler les jambes. Celle qui empêche de respirer, de rêver au lit. L’impossible maladie à prononcer. L’orpheline qu’on ne peut pas traiter. Celle qu’on garde pour soi, pour ne pas se faire charrier. Celle qui nous fait courir, toujours pour rien, chez le médecin. Celle qui nous fait pleurer le matin. L’incurable. L’insurmontable. La maladie fatale. Une maladie imaginaire qui nous accable : l’hypocondrie.

Puis petit à petit, elle est partie, je m’en moque à présent, en tapant sur mon clavier. Fini l’hypocondrie. Pour oublier les maux : accouchons de mots. Ils courent très vite et très souvent dans mon cerveau. C’est fantastique de pouvoir écrire des chroniques.

Grâce à la compagnie Les Sans Cou, je vais réussir un exploit. Celui de parler d’un ex-trauma - la peur de la maladie - tout en citant noir sur blanc celle sur laquelle, il m’est arrivé de somatiser, souvent : la tumeur au cerveau. Passetemps moyennement rigolo.

Après l’avenue Montaigne où j’ai traîné mes guêtres, pour finir larmes au coin des yeux, devant une des plus belles mises en scène de l’année : "Le Porteur d’histoire" (Studio des Champs-Élysées), je reviens sur le soir où j’ai activé mes gambettes du côté de Saint-Denis.

© Ghislain Dorglandes.
Avec le théâtre, c’est formidable, on visite du pays. Saint-Denis, Paris huitième… c’est la folie ! Au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, ce soir-là, je venais découvrir la nouvelle création d’une compagnie qui tisse sa toile artistique dont, je crois, elle ne descendra pas. Du moins je ne l’espère pas.

"J’ai couru comme dans un rêve", titre tout aussi attirant que porteur… porteur d’une autre histoire à la hauteur de celle vue l’autre soir.

Assise non loin d’un acteur de la troupe - c’est une habitude chez eux de se positionner près du public -, je me suis demandée ce qu’une fois encore, Les Sans Cou allaient nous concocter.

Rares sont les fois où ils m’ont déçue au théâtre. Ils grimpent Les Sans cou, ils grimpent dans le cœur des gens. Voir cette troupe au théâtre, c’est surtout s’assurer de passer un bon moment. Garantie sans cou, garantie panache. Pas de publicité mensongère. Un immense talent et un sacré savoir-faire.

Les "Sans Cou" aux corps et têtes bien faites. Des acteurs vivants. Des acteurs du XXIe siècle.

Même pour parler de la mort ils sont vivants. Ça court beaucoup dans cette pièce. Je vous l’ai dit : titre oblige, on ne ment pas sur la marchandise. Ça court, ça danse, ça rit et ça parle… un peu.

© Ghislain Dorglandes.
Pas de "blablabla" inutile, de phrases faciles, de décor super "in", de crise d’égo, de caricature, d’expérimentation. Non. Une troupe, un ensemble de comédiens qui joue. Point. Et une émotion de taille. Sans rentrer dans les détails, la performance de l’acteur principal - Martin - est remarquable. Lui aussi m’a fait sortir les larmes. Différentes des larmes versées au théâtre de l'Avenue Montaigne à Paris. Les larmes du théâtre de Saint-Denis étaient plus coriaces. Comme cette angoisse de la maladie : tenace.

Tenaces, mes larmes, mais pas désagréables. Loin de là.

"Quand ça vous prend, ça vous colle au corps, ça vous gratte partout, tout l'temps…" Louise Attaque.

Dans les paroles de cette chanson, il est question d’heure aussi. L’heure. Une question que je ne me suis pas posée. Pas une seule seconde. C’est le cas de le dire. Jusqu’aux dernières répliques. Jusqu’aux derniers mots. Jusqu’à la fin du mal qui ronge notre acteur principal, le spectateur se tient là, sage, attentif, le souffle coupé. Comme une course qui ne finirait jamais.

Et pourtant, les acteurs s’offrent un break. Pause méritée. Pour respirer. Nous avec. Mon cerveau, lui, a continué. Revenant tour à tour sur les prestations des acteurs, sur cette danseuse touchée par la grâce, sur cette troupe et à toute l’originalité du spectacle qui se joue devant nous.

La course reprend. Je suis avec eux. En plein dedans. Me délectant de chaque mot, expression, mouvement. C’est si beau. Si vrai. Si émouvant. Troublant.

C’est efficace cette façon de parler de la maladie. Du monde autour. De ce qui fait souffrir. Des mots qu’on ne peut pas dire. Des sentiments qu’on ne peut pas décrire. Des cris qu’on veut retenir. De l’amour qui ne cesse de grandir… au fil des jours au rythme de cette grosseur impalpable et pourtant si présente, carnassière. Ce mal qu’on aimerait faire taire.

Ah ! J’écris et je repense… et je reprends le fil de la chronique. Mes doigts se remettent à courir et mon clavier va exploser.

En sortant avec des larmes plein les yeux, j’ai attendu l’auteur. Pour lui dire : bravo. Je ne le fais pas souvent. Parce que l’auteur n’est pas toujours présent évidemment. Mais là, il met en scène aussi. Quelle troupe ! Je vous l’ai déjà dit ?

J’ai quitté le théâtre. J’ai assisté à la représentation d’un spectacle de haut niveau.

J’ai marché. Jusqu’au métro. Vite. J’ai couru. Un peu plus vite pour ne pas rater le dernier métro. J’ai laissé les larmes couler et puis les dernières ont séché sur ma peau.

J’ai couru de Saint-Denis à Paris. J’ai regardé les visages dans le métro. J’ai trouvé que la vie était belle. Je n’ai pas de tumeur au cerveau. Je ne souffre plus d’hypocondrie.
Grâce à la compagnie Les Sans Cou, je suis guérie.

J’ai écrit. J’ai dormi. J’ai rêvé… De la vie.

"J'ai couru comme dans un rêve"

© Ghislain Dorglandes.
Création collective Les Sans Cou.
Mise en scène : Igor Mendjisky.
Avec : Éléonore Joncquez ou Camille Cottin, Esther van den Driessche, Clément Aubert, Romain Cottard, Paul Jeanson, Arnaud Pfeiffer, Frédéric van den Driessche.
Scénographie : Claire Massard.
Costumes : May Katrem.
Lumières : Thibault Joulié.
Chorégraphie : Esther van den Driessche.
Le texte est publié aux éditions Archimbaud éditeur et Riveneuve éditions.
Durée : 2 h 30 (avec entracte).

Du 6 avril au 27 avril 2013.
Lundi à vendredi à 19 h 30 (relâche mardi), samedi à 18 h, dimanche à 16 h.
Théâtre Gérard Philipe, Salle J-M Serreau, Saint-Denis (93), 01 48 13 70 00.
>> theatregerardphilipe.com

Isabelle Lauriou
Samedi 6 Avril 2013
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