Danse

"Itmaragh" Chaos en chœur et en cœur

Le festival "Paris l'été" se déroule du 12 juillet au 1er août dans différents lieux de la capitale. Incursion dans l'un de ses spectacles avec "Itmaragh" où Olivier Dubois, chorégraphe, nous amène jusqu'au Caire avec sept danseurs musiciens chanteurs et un art qui a forgé ses gammes lors de la révolution égyptienne (2011).



© François Stemmer.
Ils sont sept mais ils auraient pu être dix, vingt, trente et le résultat aurait été le même, car c'est détonnant. Et pourtant l'entrée en matière autour de saluts, de blagues avec le public avant de démarrer les hostilités peut laisser perplexe. Les hostilités ont bien eu lieu sans demi-mesures. C'est d'abord et surtout physique avec un cocktail explosif de théâtre, de musique, de danse, d'humour et de spontanéité. Une spontanéité qui est le "La" de ce spectacle. Il y a un véritable mariage entre les artistes et ce qu'ils sont sur le plateau. Une symbiose totale où les mouvements, la parole et le chant bousculent les repères et dont il est parfois difficile de s'y retrouver au début quand on ignore les origines de ce courant artistique.

L'histoire entre le Caire et Olivier Dubois dure depuis de nombreuses années, ville où le chorégraphe pose souvent ses valises. Dans cette nouvelle création, il s'immisce dans l'Égypte actuelle, avec cet art qui s'est popularisé après la chute de Moubarak (1928-2020) et qui avait fait ses débuts vers 2006 avec des DJ lors de mariages.

© François Stemmer.
Ses origines viennent du Shaabi et de la musique électronique avec des influences du rap, du grime et du reggaeton. "Mahraganat" signifie "festivals" en arabe. Elle a eu pour terreau la révolution égyptienne de 2011 et a bousculé le cadre culturel du pays. Portée par une jeunesse, elle fut interdite un temps par les autorités égyptiennes pour réussir ensuite à s'imposer.

Pour Olivier Dubois, c'est une "danse du feu, de ce feu qui vous fait rougir le sang, qui effraie tout autant, brûle souvent et toujours vous réchauffe". La mise en scène est à saluer, car derrière une expression scénique qui semblerait sans contrainte et couler de source se joue une précision à couper au couteau avec des enchaînements très synchronisés. Autant le contact entre les artistes est dans un engagement maîtrisé, autant l'improvisation est motrice, nourrie d'une interaction avec le public.

Autour de chants, de mouvements sur scène et hors scène, en étant perchés un moment dans un arbre dans une cour, c'est une performance dans laquelle le corps de l'autre est toujours en appui ou contre-appui. Les bras se tendent pour s'agripper, les troncs sont parfois mis en avant et se percutent dans des trajets où les déplacements peuvent tenir lieu de course, presque de fuite en avant. Ces chocs sont parfois presque violents où, dans un début de bagarre joué, les interprètes s'empoignent, se relâchent, s'entourent, se séparent, voire s'emprisonnent avec des câbles.

Le corps devient ainsi l'instrument d'une expression scénique forte et appuyée qui fait voler en éclat l'équilibre cher à la danse. Tout est en déséquilibre, un déséquilibre qui cherche un appui vers un ailleurs, humain, spatial ou musical, pour trouver une plénitude toujours mouvante qui se fuit pour exister. Le décor est utilisé comme un personnage autour de chaises et de fumigènes et campe un rapport aux planches influençant grandement le jeu et où chacun l'utilise pour marquer son individualité et son rapport avec les autres.

© François Stemmer.
Un va-et-vient entre le "soi" de l'interprète et ses acolytes dessine un lien permanent entre le groupe et la personne, le collectif et l'individu, l'intime et l'extime. Cela s'incarne dans des mises en situation où le comédien, seul ou face aux autres, peut faire corps avec eux comme s'en extirper. Il devient sa propre entité comme un électron libre autour d'un noyau sans pouvoir s'en détacher complètement.

"Un chaos organisé" comme je l'ai entendu à la fin du spectacle ? Oui, mais avec gaité et fureur joyeuse où le chœur est à l'unisson et déploie une énergie pour interroger l'art dans ses limites et sa revendication créatrice.

"Itmaragh"

© François Stemmer.
Direction artistique et chorégraphie : Olivier Dubois.
Assistant artistique : Cyril Accorsi.
Musiciens : Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral.
Danseurs : Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto.
Directeur musical : François Caffenne.
Compositeur : François Caffenne et Ali elCaptin.
Musicien et chanteurs : Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral.
Régie générale : François Michaudel.
Lumières : Emmanuel Gary.
Scénographie : Olivier Dubois et Paf atelier.
Durée du spectacle : 1 h 10.

A été représenté à 22 h du 15 au 17 juillet 2021 dans le cadre du festival "Paris l'été".

Festival Paris l'été
Du 12 juillet au 1er août 2021.
>> parislete.fr

Safidin Alouache
Mercredi 28 Juillet 2021
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