© Christophe Raynaud de Lage.
Comme dans un songe d'une nuit d'été, trois musiciens prennent place sereinement sous le majestueux platane du Cloître des Célestins. Au son mélodieux de la guitare et de l'inanga, cet instrument traditionnel que l'on disait accompagner au Burundi le sommeil du roi tant sa sonorité est douce, un chant s'élève dans un nuage douillet. Son charme, rehaussé par les tissus colorés, opère d'emblée…
Que nous font entendre ces paroles en Kinyarwanda surtitré en français ? Elles nous racontent le retour au Rwanda de Gaby, découvrant sa mère absente dans sa tête… Le "spectacle" sera l'occasion de (re)mettre en scène, comme le ferait un flash-back au cinéma, l'histoire de cette famille disséminée par le drame génocidaire ayant abouti au massacre programmé de plus de huit cent mille Tutsis.
Hutus et Tutsis, deux classes sociales et… un même peuple, partageant la même langue, la même religion, la même culture. Alors pourquoi cet affrontement délétère ? Le père français de Gaby (sa mère rwandaise s'est exilée au Burundi voisin pour essayer d'échapper au génocide) tente tant bien que mal d'expliquer à l'enfant de dix ans qu'il était, que Hutus et Tutsis… n'ont pas le même nez, les seconds étant dotés d'un nez fin et d'une corpulence plus élancée. Une raison pour être exterminés ? L'enfant ne comprend pas, nous non plus… sauf à considérer que les intérêts des anciens colonisateurs (dont la France) étaient de fermer les yeux en 1994 sur ces massacres présentés comme une guerre ethnique dont l'Occident n'a pas à se mêler, les Hutus au pouvoir permettant cyniquement de continuer à faire… des affaires.
Que nous font entendre ces paroles en Kinyarwanda surtitré en français ? Elles nous racontent le retour au Rwanda de Gaby, découvrant sa mère absente dans sa tête… Le "spectacle" sera l'occasion de (re)mettre en scène, comme le ferait un flash-back au cinéma, l'histoire de cette famille disséminée par le drame génocidaire ayant abouti au massacre programmé de plus de huit cent mille Tutsis.
Hutus et Tutsis, deux classes sociales et… un même peuple, partageant la même langue, la même religion, la même culture. Alors pourquoi cet affrontement délétère ? Le père français de Gaby (sa mère rwandaise s'est exilée au Burundi voisin pour essayer d'échapper au génocide) tente tant bien que mal d'expliquer à l'enfant de dix ans qu'il était, que Hutus et Tutsis… n'ont pas le même nez, les seconds étant dotés d'un nez fin et d'une corpulence plus élancée. Une raison pour être exterminés ? L'enfant ne comprend pas, nous non plus… sauf à considérer que les intérêts des anciens colonisateurs (dont la France) étaient de fermer les yeux en 1994 sur ces massacres présentés comme une guerre ethnique dont l'Occident n'a pas à se mêler, les Hutus au pouvoir permettant cyniquement de continuer à faire… des affaires.
© Christophe Raynaud de Lage.
Dans un florilège de danses expressives, de chants envoûtants et de séquences parlées projetées vers les gradins, les scènes échappées d'un passé dont elles étaient prisonnières vont prendre vie pour, comme dans un kaléidoscope, recomposer les heurs et malheurs de cette famille disloquée… "Tu te souviens maman, tu as quitté le Rwanda à la lueur des flammes… Tu y avais rencontré papa, un Français tombé sous ton charme. On vivait heureux, Ana, ma sœur, et vous deux. Et puis vous vous êtes séparés, papa et toi. Et les problèmes ont surgi avec les coupeurs de tête…".
Si aucune épreuve vécue n'est éludée, si la mort est toujours là au second plan (et comment pourrait-il en être autrement ?), le ton reste résolument du côté de la vie… Ainsi de la cérémonie de la circoncision des garçons donnant lieu à un morceau de choix où domine, avec la lame de rasoir et l'eau salée pour désinfecter, jusqu'à l'enterrement des bouts de zizi sous le bananier, le plaisir festif d'un rite intégrateur faisant lien entre les membres d'une même communauté… Chants mélodieux, mélopées, cercle chorégraphié pour fêter les onze ans de Gaby… Bonheur partagé interrompu par la nouvelle du Président tué et du pays à feu et à sang…
Surtout ne pas douter de la beauté du monde, même sous un ciel tortionnaire… Les interprètes, se tenant par l'épaule en une ligne continue, s'avancent vers l'avant-scène, faisant bloc face aux gradins, prêts à affronter droit dans les yeux les horreurs à venir… Les Tutsis assimilés à des cafards à exterminer… Les machettes planquées partout à Kigali, n'attendant que leur heure pour être utilisées… Même chose au Burundi voisin… Les miliciens fouillant les maisons des Tutsis… Et les paroles de Gaby trouant alors l'obscurité : "Tu te sentais impuissante maman, rongée de l'intérieur"… Ce sera pourtant elle la mère, à qui reviendra au final la parole, qui dira le carnage des corps retrouvés décomposés, qui dira Jeanne disparue et Pacifique (son mari au nom prédestiné) qui en voulant la défendre, elle et sa famille, retrouvé fusillé par les Hutus, les siens, pour traîtrise… il avait voulu sauver des Tutsis.
On sort bouleversé de cette traversée poétique d'un drame mis en jeu au travers d'une fiction propre à redonner la parole – comme ici à la mère – aux victimes du génocide. La puissance de cette forme esthétiquement très belle (cf. les musiques et chants envoûtants dessinant à eux seuls des paysages sonores, cf. la chorégraphie du tableau final où les interprètes en pleine lumière balaient devant eux les marques du trauma collectif pour ouvrir une nouvelle ère) tient "essentiellement" à l'authenticité des interprétations singulières confiées à des Rwandais, chacun devenant acteur de sa propre histoire. Une histoire chorale secouée, comme un organisme vivant, par les soubresauts de la grande Histoire.
Si aucune épreuve vécue n'est éludée, si la mort est toujours là au second plan (et comment pourrait-il en être autrement ?), le ton reste résolument du côté de la vie… Ainsi de la cérémonie de la circoncision des garçons donnant lieu à un morceau de choix où domine, avec la lame de rasoir et l'eau salée pour désinfecter, jusqu'à l'enterrement des bouts de zizi sous le bananier, le plaisir festif d'un rite intégrateur faisant lien entre les membres d'une même communauté… Chants mélodieux, mélopées, cercle chorégraphié pour fêter les onze ans de Gaby… Bonheur partagé interrompu par la nouvelle du Président tué et du pays à feu et à sang…
Surtout ne pas douter de la beauté du monde, même sous un ciel tortionnaire… Les interprètes, se tenant par l'épaule en une ligne continue, s'avancent vers l'avant-scène, faisant bloc face aux gradins, prêts à affronter droit dans les yeux les horreurs à venir… Les Tutsis assimilés à des cafards à exterminer… Les machettes planquées partout à Kigali, n'attendant que leur heure pour être utilisées… Même chose au Burundi voisin… Les miliciens fouillant les maisons des Tutsis… Et les paroles de Gaby trouant alors l'obscurité : "Tu te sentais impuissante maman, rongée de l'intérieur"… Ce sera pourtant elle la mère, à qui reviendra au final la parole, qui dira le carnage des corps retrouvés décomposés, qui dira Jeanne disparue et Pacifique (son mari au nom prédestiné) qui en voulant la défendre, elle et sa famille, retrouvé fusillé par les Hutus, les siens, pour traîtrise… il avait voulu sauver des Tutsis.
On sort bouleversé de cette traversée poétique d'un drame mis en jeu au travers d'une fiction propre à redonner la parole – comme ici à la mère – aux victimes du génocide. La puissance de cette forme esthétiquement très belle (cf. les musiques et chants envoûtants dessinant à eux seuls des paysages sonores, cf. la chorégraphie du tableau final où les interprètes en pleine lumière balaient devant eux les marques du trauma collectif pour ouvrir une nouvelle ère) tient "essentiellement" à l'authenticité des interprétations singulières confiées à des Rwandais, chacun devenant acteur de sa propre histoire. Une histoire chorale secouée, comme un organisme vivant, par les soubresauts de la grande Histoire.
© Christophe Raynaud de Lage.
Et si on peut ressentir parfois l'impression fugitive de perdre un peu de compréhension lors de parties parlées dans la langue d'origine, très vite, on l'oublie pour être littéralement happés par la force de conviction des corps en mouvement, corps se faisant les haut-parleurs sensibles des émotions "porteuses de sens".
… Troublés, les actrices et acteurs rwandais l'étaient encore plus que d'ordinaire ce soir-là, s'effondrant en sanglots dans les coulisses juste après être venus saluer, la vérité de leur je(u) leur étant revenue comme un boomerang imparable.
◙ Yves Kafka
Vu le lundi 21 juillet 2025, au Cloître des Célestins à Avignon.
… Troublés, les actrices et acteurs rwandais l'étaient encore plus que d'ordinaire ce soir-là, s'effondrant en sanglots dans les coulisses juste après être venus saluer, la vérité de leur je(u) leur étant revenue comme un boomerang imparable.
◙ Yves Kafka
Vu le lundi 21 juillet 2025, au Cloître des Célestins à Avignon.
"Gahugu Gato (Petit Pays)"
© Christophe Raynaud de Lage.
Création en juin 2024 à Kigali (Rwanda).
D'après le roman "Petit Pays" de Gaël Faye publié aux Éditions Grasset en 2016.
Spectacle en kinyarwanda et français surtitré en français et anglais.
Traduction : Emmanuel Munyarukumbunzi basée sur l'adaptation française de Samuel Gallet.
Mise en scène : Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire, avec la complicité de Gaël Faye.
Avec : Frédéric Fisbach, Olivier Hakizimana, Léon Mandali, Carine Maniraguha, Philipe Mirasano, Natacha Muziramakenga, Dida Nibagwire, Norbert Regero, Michael Sengazi et Jean-Patient Akayezu (inanga, flûte et chant), Kaya Byinshii (chant), Samuel Kamanzi (guitare et chant).
Lumière : Eloé Level.
Costumes : Asantii, House of Tayo, Moshions.
Surtitrage : Patience Umutoni.
Régie générale : Eloé Level.
Régie son : Foucault de Malet.
Traduction des surtitres en français : Samuel Gallet.
Traduction des surtitres en anglais : Natacha Muziramakenga.
Durée : 1 h 45.
D'après le roman "Petit Pays" de Gaël Faye publié aux Éditions Grasset en 2016.
Spectacle en kinyarwanda et français surtitré en français et anglais.
Traduction : Emmanuel Munyarukumbunzi basée sur l'adaptation française de Samuel Gallet.
Mise en scène : Frédéric Fisbach et Dida Nibagwire, avec la complicité de Gaël Faye.
Avec : Frédéric Fisbach, Olivier Hakizimana, Léon Mandali, Carine Maniraguha, Philipe Mirasano, Natacha Muziramakenga, Dida Nibagwire, Norbert Regero, Michael Sengazi et Jean-Patient Akayezu (inanga, flûte et chant), Kaya Byinshii (chant), Samuel Kamanzi (guitare et chant).
Lumière : Eloé Level.
Costumes : Asantii, House of Tayo, Moshions.
Surtitrage : Patience Umutoni.
Régie générale : Eloé Level.
Régie son : Foucault de Malet.
Traduction des surtitres en français : Samuel Gallet.
Traduction des surtitres en anglais : Natacha Muziramakenga.
Durée : 1 h 45.
© Christophe Raynaud de Lage.
•Avignon In 2025•
A été représenté les 17 et 18, 20, 21 et 22 juillet 2025.
Représenté à 22 h.
Cloître des Célestins, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com
Tournée
18 au 20 mai 2026 : MIXT - Terrain d'arts en Loire-Atlantique, Nantes (44).
2027 (en cours) : Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique).
A été représenté les 17 et 18, 20, 21 et 22 juillet 2025.
Représenté à 22 h.
Cloître des Célestins, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com
Tournée
18 au 20 mai 2026 : MIXT - Terrain d'arts en Loire-Atlantique, Nantes (44).
2027 (en cours) : Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique).