Théâtre

"Huis clos" Sommes-nous acteurs de notre destin ou de simples marionnettes ?

Garcin, Inès et Estelle, un homme et deux femmes, se retrouvent enfermé(es) dans un salon où la lumière ne s'éteint pas et duquel il est impossible de sortir. Ils comprennent qu'ils se trouvent en Enfer et se racontent leurs histoires. Ainsi se noueront entre eux des relations complexes qui ne se révèleront pas toujours réciproques.



© Anthony Dausseur.
Est-ce bien raisonnable de retourner assister à une énième représentation de "Huis clos", ce texte incontournable du théâtre français écrit, fin 1943 - début 1944, par le célèbre philosophe Jean-Paul Sartre ? Une de ses plus belles œuvres et aussi une des plus jouées.
Quand on aime, on ne compte pas, semble-t-il.

Au Laurette Théâtre, une petite salle intimiste de quartier, se joue une nouvelle version de cette célèbre pièce, interprétée par deux comédiennes et un comédien attachant(es) et investi(es) : Sebastian Barrio, Karine Battaglia et Laurence Meini.

La proximité du public avec la scène et, de ce fait, le contact très proche avec les personnages renforcent très largement la thématique de la pièce. Rares ont été les fois où cette sensation d'enfermement a pu nous envahir autant, indépendamment des relations tendues qui se tissent progressivement entre les personnages et qui de ce fait sont décuplées.

© Anthony Dausseur.
À la mise en scène, le choix d'une voix off pour interpréter le personnage du garçon d'étage, du coup absent, étaye encore davantage l'isolement, la torture morale, la peur des protagonistes, lesquels sont doublement morts parce qu'ils ne peuvent pas briser le cadre de leurs soucis individuels. On peut regretter tout de même le choix d'une voix féminine dans ce rôle, car il semblerait que, sous la plume de Sartre, ce garçon d'étage n'est autre que le diable… Puis une bande-son angoissante surgit de la porte d'entrée du théâtre, située dans le dos des spectateurs et renforçant encore plus l'atmosphère délétère de la situation.

Les canapés Second empire aux couleurs moches dont parle Jean-Paul Sartre dans sa pièce sont remplacés ici par des cubes fluorescents et le bronze de Barbevienne par une sculpture en métal torsadé dont on pourrait se demander si leur manque d'esthétique est volontairement choisi pour symboliser indirectement la laideur du monde bourgeois dont nous parle le dramaturge.
Au sein de cette scénographie juste et bien huilée, les trois comédiennes et comédien évoluent de façon harmonieuse et leur complicité est palpable.

Sebastian Barrio arrive sur scène en premier, interprétant le rôle de Joseph Garcin, ancien journaliste et dirigeant d'un journal pacifiste à Rio qui a voulu déserter et a été fusillé au nom de ses principes. Il n'est pas simple de camper ce célèbre personnage né sous la plume acérée de Jean-Paul Sartre. Le comédien y parvient pourtant sans se ménager en portant haut la notion de lâcheté que son rôle lui suggère. On pourrait croire que la pratique de la scène lui est familière depuis de longues années tant son jeu est investi et taillé au cordeau. Mais il n'en est rien ! Durant de longues années, Sebastian a été acteur pornographique avant de donner la réplique à Philippe Harel et Marina Foïs dans la comédie intitulée "Bienvenue au gîte".

De toute évidence, l'acteur du "hot" a été démasqué à l'occasion de ce film, mais bien lui en a pris, car depuis, de casting en casting, sa carrière d'acteur s'est envolée et sa prestation tumultueuse de Joseph Garcin n'a rien à envier à bien d'autres comédiens plus chevronnés. Félicitations !

Les deux comédiennes, quant à elles, Karine Battaglia et Laurence Meini dans les rôles d'Inès et d'Estelle, gagneraient peut-être en sobriété vestimentaire tant l'ampleur de leurs propos et de leurs arguments face à Garcin se suffit à elle-même. Leurs jeux respectifs sont efficaces, notamment dans l'interprétation de leurs relations intimes et leur mise en valeur par un jeu juste de l'idée que, dans la vie, tout se passe dans le regard des autres.

Leurs fines interprétations, profondément ciblées et plutôt respectueuses des intentions originales de Sartre, ne chancellent fort heureusement pas autant que leurs démarches perchées sur leurs talons hauts. Une prouesse, à cet égard, pour qui peut connaître un tant soit peu la pratique des plateaux de théâtre…

Ce nouveau "Huis clos", mis en scène par Karine Kadi au Laurette Théâtre, est une version sensible qui sait bien mettre en valeur, grâce à la complicité et à l'investissement de Sebastian Barrio, Karine Battaglia et Laurence Meini, la question existentielle qui nous traverse toutes et tous : "sommes-nous acteurs et actrices de notre destin ou de simples marionnettes ?".
Courez au Laurette Théâtre afin d'essayer de comprendre enfin si l'Enfer, c'est les autres, ou tout autre chose…

"Huis clos"

Texte : Jean-Paul Sartre.
Mise en scène : Karine Kadi
Avec : Sebastian Barrio, Karine Battaglia, Laurence Meini.
Tout public.
Durée : 1 h 20.

Du 16 septembre au 18 décembre 2022.
Vendredi à 21 h et dimanche à 18 h.
Laurette Théâtre, Paris 10e, 09 84 14 12 12 et 06 95 54 56 59.
>> laurette-theatre.fr

Brigitte Corrigou
Lundi 24 Octobre 2022
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