Théâtre

"Fission"… Fragilité des constructions humaines, inconsistance et puissance de tout rêve

"Fission", Théâtre La Reine Blanche, Paris

Le théâtre de la Reine Blanche fait se rencontrer les mondes scientifiques et artistiques en usant d'un vecteur commun de la représentation théâtrale… Dans "Fission", il est question de l'atome, de l'énergie et de la bombe vue d'un point focal, peu connu de la Grande Histoire…



© William Parra.
Celui de ces savants allemands qui travaillaient, sous le régime nazi, sur le programme de la bombe atomique et qui, faits prisonniers, mis au secret en Angleterre, apprennent stupéfaits que les américains les ont doublé. Cela aurait du être de leur point de vue Londres, ce fut Hiroshima.

Hiroshima… Un événement dans la toute puissance de l'effroi qui modifie absolument l'échelle des mesures : quand un seul avion et une seule bombe, quand une fraction de seconde se substituent à des mois de bombardement, des milliers d'avions et des milliers de soldats et des milliers de tonnes de bombes. À la grande surprise de tous, un prodigieux écart de l'espace et du temps. Celui de la destruction instantanée et de l'abolition de la durée*. Celui du soulagement et du remords.

Ce 6 août 1945, ces hommes prirent conscience dans la stupeur de leur ratage. Sans forcément tout comprendre d'eux-mêmes, ils comprennent qu'ils avaient été dépassés brutalement dans la course à l'énergie, comprennent que leur méthode n'était pas bonne et qu'ils avaient été privés de leur l'entrée tonitruante et supposée glorieuse dans l'ère atomique. Écartés de la postérité.

© William Parra.
Et se sentant soulagés de ne pas être accusés de l'avoir mis en œuvre : la bombe. Avec pour eux une seule alternative. Passer pour incompétents ou se revendiquer résistants passifs au régime nazi. À jamais non coupables… À la croisée des destins, ces savants allemands se firent tout petits redevenus simples serviteurs de l'aventure scientifique d'homo sapiens nobélisable.

Tout à leur désir de créer des éléments qui n'existent pas dans la nature, sans se poser de questions plus avant pour la simple raison que ces derniers figurent de manière virtuelle dans une table de classement logique des éléments (table de Mendeleïev) et que la compétition est lancée au niveau mondial. Concrétiser. De la connaissance à l'application, le passage à l'acte. "Fission" anime le débat sur les relations de la Science avec le pouvoir politique, la société et avec elle même.

Pour un tel sujet, la forme théâtrale qui excelle dans la dénonciation des travers des hommes par la satire et la farce s'avère pertinente. Le spectacle plein de rigueur et de précision scientifique et historique, retient l'attention du spectateur. Celui-ci apprend, comprend et perçoit que le rêve de toute puissance est accompagné d'une kyrielle de petitesses, de médiocrités, de curiosités à court terme, de hasards et de sens du bricolage, de coups bas, de jalousies qui excluent l'intelligence des autres et les autres intelligences.

© William Parra.
Le spectacle recèle, de fait, plein de pépites d'humour et d'ironie propres à propager le plaisir.

Le jeu part d'une forme archaïque de la théâtralité (qui est celle de la dispute) qui oppose des arguments en une succession de plaidoyers individuels. Il évolue de manière dynamique en un théâtre qui allie réflexion et comédie (fut-elle dramatique). L'action, concentrée en un huis clos, comme en un chaudron, exacerbe les contrastes entre les personnages, affirme les caractères. Il y a le couard, le vaniteux, le repentant, l'opportuniste et le cynique, la délaissée. Le choc est tel que la réaction en chaîne s'enclenche naturellement pour les protagonistes en un sauve-qui-peut panique, un désir de posture pour sauver sa réputation des plus pathétiquement risible.

Si l'histoire fait froid dans le dos, de manière alchimique, la machine théâtrale déclenche, en effet, le plaisir de vivre et de rire. À la fission des éléments obtenus par apport d'énergie des neutrons sur les noyaux, correspond la fission des caractères par l'apport de l'énergie des comédiens.

© William Parra.
L'espace théâtral est bien un espace phénoménologique qui crée de l'énergie positive et qui, entre effroi et ridicule, pose immanquablement le problème de la fragilité des constructions humaines, l'inconsistance et la puissance de tout rêve, qu'il soit de toute puissance ou de postérité éternelle.

* Avant d'apprendre plus tard l'apparition des très longues durées des radioéléments (radioactivité) et leurs effets sur la vie.

"Fission"

© William Parra.
Texte : de Jacques et Olivier Treiner.
Mise en scène : Vincent Debost.
Avec : Romain Berger, Benoît Di Marco, Christian François, Alexandre Lachaux, Marie-Paule Sirvent, Stéphane Lara.
Scénographie : Pascal Crosnier.
Musique : Raphaël Treiner.
Costumes : Vincent Debost.
Durée : 1 h 15.

Du 8 avril au 22 juin 2016.
Mercredi et vendredi à 21 h (sauf 25 et 27 mai), dimanche à 17 h.
Théâtre La reine Blanche, Paris 18e, 01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

Jean Grapin
Vendredi 15 Avril 2016
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