Lyrique

"Fantasio" d'Offenbach, fantaisie charmante… et oubliable ?

Pour lancer en fanfare la nouvelle saison de l'Opéra Comique, a été choisie une partition rare (partiellement perdue et reconstituée par Jean-Christophe Scheck) du roi de la fête impériale Jacques Offenbach. Une fête devenue gueule de bois en 1872 quand le compositeur retire de la scène son opéra-comique en trois actes, "Fantasio", boudé par le public.



© Pierre Grosbois.
Aujourd'hui, avec un livret partiellement réécrit par le metteur en scène Thomas Jolly, et malgré une mise en scène enlevée et pleine de trouvailles, emmenée par une troupe de grande qualité, l'œuvre peine plutôt à convaincre. La mezzo Marianne Crebassa y est extraordinaire dans le rôle-titre.

D'une pièce en deux actes, "Fantasio", comédie désenchantée (1) publiée en 1834 par un dramaturge de vingt-deux ans, Alfred de Musset, ce héraut d'une "génération ardente, pâle, nerveuse" (2), Jacques Offenbach, génie indiscipliné (3) et empereur de l'opéra-bouffe, voulut faire un opéra-comique près de quarante ans plus tard. Parce que boudé par le public, le compositeur ne prit même pas la peine d'en publier la partition complète et en recycla certains morceaux ailleurs (4).

Ce manifeste du romantisme subtil et cruel était-il soluble dans l'œuvre du roi de la gaieté parisienne, même avec un livret dû à Paul de Musset ? On peut en douter, surtout au prix de la réécriture de l'intrigue par l'aîné d'Alfred, qui y ajouta une amourette et un éloge final de la paix (deux ans après la défaite de Sedan), plutôt incohérents d'avec la pièce d'origine.

© Pierre Grosbois.
Fantasio traîne si bien son ennui, en spirituel aigle d'un petit groupe de carabins fêtards, qu'il décide de prendre la place d'un bouffon récemment disparu, à la cour d'un roitelet germanique. Il se retrouve au cœur d'une affaire d'état : le mariage de la princesse Elsbeth avec un prince ridicule et vaniteux. Rien ne se passera évidemment comme prévu.

Si la pièce est l'occasion pour Musset cadet de lancer comme des bulles de savon ses brillants mais amers paradoxes et sa poésie délicate, l'opéra-comique (alternant passages chantés et parlés) court le fil d'une hétérogénie jamais résolue : joyeuse pochade dans un royaume de farce et poème mélancolique, incarné par Fantasio, qui a "le mois de mai aux joues" mais "l'hiver dans le cœur". Croyant bien faire, Thomas Jolly et sa dramaturge Katja Krüger, en injectant davantage de répliques de la pièce d'origine dans le livret, accentue de fait ce hiatus. C'est que le texte de la pièce surpasse partout ici les (souvent médiocres) airs chantés.

Non que cet opus d'Offenbach ne brille pas de-ci de-là de superbes passages (l'entrée de Fantasio et son "Voyez dans la nuit brune/Sur le clocher jauni/La lune…", le prélude du deuxième acte…), mais l'ensemble n'atteint jamais la verve, l'invention et la richesse orchestrale des chefs-d'œuvre de la maturité du compositeur. Comme le Prince de Mantoue, aurait-il dû s'écrier "Je ne serai jamais, non jamais/Aimé pour moi-même" ?

© Pierre Grosbois.
Le spectacle (5) est, quant à lui, une superbe réussite - le plus bel écrin possible pour ranimer notre intérêt. Thomas Jolly puise à un imaginaire luxuriant, entre Méliès, le théâtre d'ombres chinoises et de tréteaux, et aux sources de l'image animée du XIXe siècle. Il a mille idées par scène et sa direction d'acteurs fait merveille. On rit souvent de ces grotesques que la comédie châtie bien. L'émotion surgit même à l'occasion, comme un sourire plein de larmes, quand par exemple Fantasio s'envole dans le O de son nom inscrit en lettres géantes. Il fait ce qu'il peut des longueurs du livret et on ne saurait mieux les occuper.

L'éloge vient tout droit du cœur aussi pour cette équipe artistique de première force. Seconds rôles précieux d'étudiants ou de conseillers (tels Enguerrand de Hys, Philippe Estèphe, Kevin Amiel, Flannan Obé), personnel princier solide prêt à passer à la postérité dans l'histoire de l'Opéra Comique (Franck Leguérinel, Jean-Sébastien Bou, Loïc Félix) et un Ensemble Aedes parfait, tous réveillent les spectateurs. Et puis "Fantasio" est grandement transcendé par le Fantasio de la mezzo Marianne Crebassa, littéralement extraordinaire. La chanteuse a tout : le charisme scénique et vocal, l'autorité, la mélancolie, la folie androgyne du personnage. Elle risque tout et nous aimante, bien au-delà des possibilités de son rôle. Offenbach aurait sans doute tout réécrit pour elle.

© Pierre Grosbois.
(1) "Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu'on peut nommer désenchantement, ou, s'il on veut, désespérance (…)." La Confession d'un enfant du siècle, 1836.
(2) Ibid.
(3) Entré à quatorze ans au Conservatoire de Paris, il en est exclu un an plus tard pour indiscipline. Il entre alors à l'orchestre de l'Opéra Comique.
(4) Par exemple dans "Les Contes d'Hoffmann" créé après sa mort en 1881.
(5) Les travaux de la salle Favart ayant pris du retard (réouverture de la salle en avril 2017), "Fantasio" est présenté au Théâtre du Châtelet.


Spectacle présenté jusqu'au 27 février 2017.
Retransmis en soirée sur la chaîne Culturebox le 22 février 2017.

© Pierre Grosbois.
Théâtre du Châtelet.
Place du Châtelet, 75001 Paris.
Tel : 01 40 28 28 28.
>> chatelet-theatre.com

"Fantasio" (1872).
Opéra en trois actes.
Musique de J. Offenbach (1819-1880).
Livret de Paul de Musset.
Durée : 2 h 50 avec un entracte.
En français surtitré.

© Pierre Grosbois.
Laurent Campellone, direction musicale.
Thomas Jolly, mise en scène et décors.
Thibaut Fack, décors.
Christophe Danchaud, chorégraphie.
Sylvette Dequest, costumes.
T. Jolly, Antoine Travert, Philippe Berthomé, lumières.

Marianne Crebassa, Fantasio.
Franck Leguérinel, Le roi de Bavière.
Marie-Eve Hunger, La princesse Elsbeth.
Jean-Sébastien Bou, Le prince de Mantoue.
Loïc Félix, Marinoni.
Alix Le Saux, Flamel.
Philippe Estèphe, Spark.
Enguerrand de Hys, Facio.
Kevin Amiel, Max.
Flannan Obé, Hartmann.

Orchestre Philharmonique de Radio-France.
Ensemble Aedes, chœur.

Christine Ducq
Mercredi 22 Février 2017
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