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FAB 2023 "Exit Above", Anne Teresa De Keersmaeker récidive… Marche ou (c)rêve

De création en création, la chorégraphe belge creuse à l'envi le même sillon. Celui d'une danse-monde où le déplacement de l'Homo erectus est disséqué, répété, amplifié pour devenir… pas de danse. Dans un opus trouvant en "La Tempête" de Shakespeare son pré-texte, elle invite sur le plateau treize danseurs et danseuses – dont une chanteuse à la voix ensorceleuse et un guitariste folk –, lesquels, au rythme de blues mélancoliques et de beats électroniques rageurs, vont faire corps pour transcender le réel en chorégraphies puissantes.



© Christophe Raynaud de Lage.
Le titre énigmatique – "Exit Above", littéralement "sortir au-dessus" – trouve son origine dans une didascalie décalée de "La Tempête" de Shakespeare. Si elle est reprise ici par Anne Teresa De Keersmaeker, on peut légitimement penser que c'est dans le dessein d'"ouvrir" sa pièce par l'image d'une spirale ascendante suggérant que, même si le gros temps souffle fort sur le plateau, l'issue peut en être néanmoins sereine.

Cette spirale ascendante trouve par ailleurs sa réplique plastique dans un très beau tableau inaugural où l'on voit flotter au-dessus de la troupe alignée en fond de scène, dans une lumière bleutée intrigante comme peut l'être la musique discordante, un immense voile blanc ondulant au gré d'un vent tempétueux. En écho d'Ariel, esprit de l'air et du souffle de vie soumis à Prospéro, un ange – réplique lui de l'Angelus Novus de Paul Klee – se débat, les ailes prises dans la tourmente, tournoie sur lui-même, chute et se relève, avant que ne le rejoignent les autres danseurs en bord de scène. Là, dans un silence spectral et une immobilité totale de plusieurs minutes, le voile tombe des cintres… et, sur un nouveau rivage, celui de l'île, la vie va renaître sous la forme de mouvements imperceptibles traversant les corps.

© Christophe Raynaud de Lage.
C'est alors que, portée par les notes enivrantes de la guitare folk de Carlos Garbin (danseur de la Cie Rosas), la voix ensorceleuse de Meskerem Mees (autrice-compositrice-interprète-danseuse d'origine éthiopienne) s'élève. Délivrant son flux de mots envoûtants, les accents mélancoliques de blues traversés par toute l'histoire des afro-américains font frissonner tant l'éclat de cette voix limpide coule en nous. Dès lors, se succéderont des tableaux vivants où les marches, rapides et lentes, courses effrénées et arrêts instantanés, affrontements rudes et complicités douces, expressions contrastées allant des rires à la fermeture des visages, composeront une symphonie expressionniste contenant nos propres histoires… Chants évoquant l'eau, le déluge, le feu incendiaire, autant de métaphores violentes reliant l'humain à la nature sauvage et que seul le sentiment de faire chorus via la danse peut apprivoiser.

Lorsque les beats accélérés et répétitifs de Jean-Marie Aerts envahissent l'espace du plateau pour soutenir la révolte qui gronde, des tableaux débridés traduisent la frénésie en marche que rien ne semble pouvoir contenir. Jetés au sol, sauts aériens, courses furieuses, cris farouches "mis en lumière" par des éclairs venus des cintres. Corps tétanisés projetés au sol avant que la musique, désarticulée à son tour, ne s'arrête, laissant place à un silence fantomatique… d'où émergeront, une fois encore, les corps redoublant d'une énergie vitale les transcendant.

© Christophe Raynaud de Lage.
Ainsi, avant que, dans un happy end bras levés au ciel, la concorde ne règne à nouveau entre les protagonistes (rappel de la scène finale de "La Tempête"), on assiste à un enchaînement de tableaux chorégraphiés rythmés par des pas de danse parcourant toute la gamme de la marche. Leur beauté plastique souvent époustouflante, l'énergie déployée par les danseurs et danseuses, les blues à faire frissonner ou encore les musiques électroniques énergisantes, ont de quoi séduire… Cependant, si l'on est "porté" immanquablement par ces marches chorégraphiées mises en musiques et par les "arrêts sur images" impressionnant durablement notre rétine, la ligne dramaturgique par trop hésitante peut donner parfois l'impression d'une juxtaposition kaléidoscopique échappant à toute nécessité "vitale".

Vu le 3 octobre au Carré de Saint-Médard-en-Jalles (33), dans le cadre du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole (FAB) qui a lieu du 30 septembre au 15 octobre 2023.

"Exit Above, d'après La Tempête"

© Christophe Raynaud de Lage.
Chorégraphie, Anne Teresa De Keersmaeker
Créé avec et dansé par : Abigail Aleksander, Jean Pierre Buré, Lav Crnčević, José Paulo dos Santos, Rafa Galdino, Carlos Garbin, Nina Godderis, Solal Mariotte, Meskerem Mees, Mariana Miranda, Ariadna Navarrete Valverde, Cintia Sebők, Jacob Storer.
Musique : Meskerem Mees, Jean-Marie Aerts, Carlos Garbin.
Musique interprétée par : Meskerem Mees, Carlos Garbin.
Texte et paroles : Meskerem Mees, Wannes Gyselinck.
Texte d'ouverture : Walter Benjamin.
Dramaturgie : Wannes Gyselinck.
Scénographie : Michel François.
Lumière : Max Adams.
Son : Alex Fostier.
Costumes : Aouatif Boulaich.
Direction des répétitions : Cynthia Loemij, Clinton Stringer.
Durée : 1 h 30.
Par la Cie Rosas.
Première mondiale le 31 mai 2023 au Théâtre National Wallonie-Bruxelles.
Représenté du 6 au 13 juillet à la FabricA dans le cadre Festival d'Avignon 2023.

Tournée
12 octobre 2023 : Theater im Pfalzbau, Ludwigshafen (Allemagne).
25 au 31 octobre 2023 : Théâtre de la Ville - Sarah Bernhardt, Festival d'Automne, Paris.
7 novembre 2023 : Tanzhaus NRW, Düsseldorf (Allemagne).
10 novembre 2023 : De Werf, Louvain (Belgique).
24, 25 et 26 novembre 2023 : Opera Gent, Viernulvier (Belgique).
29 novembre au 2 décembre 2023 : De Singel, Anvers (Belgique).
27 février 2024 : Cultuurcentrum, Hasselt (Belgique).
6 mars 2024 : Theater, Rotterdam (Pays-Bas).
15 mars 2024 : Le Cratère - Scène nationale, Alès (30).
19 mars 2024 : Scène nationale, Albi (81).
22 et 23 mars 2024 : Le Parvis - Scène nationale, Tarbes (65).
26 mars 2024 : Scène nationale Grand Narbonne, Narbonne (11).
5 et 6 avril 2024 : Opéra, Lille (59).
26 et 27 avril 2024 : Teatro Central, Seville (Espagne).
19 mai 2024 : Teatro del Canal, Madrid (Espagne).
12 et 13 novembre 2024 : Sadlers Wells, Londres (Royaume-Uni).

FAB - 8e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
Du 30 septembre au 15 octobre 2023.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 05 57 93 18 93.
billetteriefab@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Mardi 10 Octobre 2023
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