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FAB 2023 "Blast !", Désaccords à corps et à cris…

Quand les mots sont frappés de stupeur, le corps ébranlé et sollicité "vivement" prend le relai. Ultime recours pour tenter de dire l'impensable, le corps mis à mal délivre ce que le langage articulé n'est plus en capacité d'exprimer : ces violences inouïes dont, désarticulé, il se fait l'ardent porte-voix.



© Marie Magnin.
Sur le tempo accéléré délivré par une batterie invisible, l'interprète tout de noir vêtue décrit compulsivement un cercle. Absorbée tout entière par la musique répétitive qui semble guider ses pas, elle se retrouve jetée au sol, en appui sur ses extrémités. Lorsque les notes cessent de battre, à l'instant même, elle s'arrête net de gesticuler en tous sens et s'immobilise dans un silence impressionnant. Assise sur les talons, elle se tourne alors vers le public qu'elle dévisage longuement, impassible, bouche entrouverte… ce trou entre ses lèvres convulsées s'ouvrant de plus en plus pour devenir un gouffre d'où aucun cri ne sort comme s'il était resté bloqué quelque part au fond de sa gorge. Plusieurs minutes s'écoulent ainsi dans un silence assourdissant et glaçant.

Les bras tétanisés jusque-là semblent se relâcher, le corps bascule tête à la renverse, laissant apparaître une souffrance muette. Puis à nouveau ce corps malmené se disloque, s'immobilise, bouche béante, yeux sortant de leurs orbites. À peine quelques pas esquissés, l'interprète titube, vacille. Toujours aucun son mais une terreur muette secouant d'une salve de spasmes son corps torturé. Comme lors d'une crise d'épilepsie vécue en direct, les tremblements s'intensifient… De ses mâchoires déformées, plaquée au sol, de vagues borborygmes parviennent à s'échapper. Le corps déstructuré crie l'intensité de la souffrance à l'œuvre, rendant caduque toute velléité de contrôle. Une cacophonie puissante de bruits "entendus" finit par déclencher en elle le cri salvateur qui s'y était coincé…

© Marie Magnin.
Dès lors, tout en improvisant des figures chorégraphiées, un premier poème où se mêlent dans plusieurs langues, champ de bataille, tête arrachée, corps dévoré, air avalé et déchirure de l'angoisse, s'élève comme un chant venu des entrailles. Pêle-mêle, des éclats d'une cruauté sans nom fusent. Et ce, jusqu'à l'explosion des lumières et de la musique consacrant un cri de triomphe libérateur.

Silence… De retour en elle, elle semble habitée par une profonde méditation, reprenant sa marche en boucle interrompue à nouveau par des épisodes accidentés. Tournant sur son axe, elle finit par s'asseoir dans un halo de lumière blanche. Alors, dans un tableau sculptural saisissant d'intensité dramatique, yeux fixés droit dans les nôtres, elle "délivrera" – résonant comme un exutoire – un second poème aux accents sibyllins, charriant dans un cauchemar éveillé des images aux couleurs de violences.

What ? Qui sont ces autres qui parlent en elle ? Qu'en est-il exactement de cette histoire épique où interviennent un arbre, un cheval, une flèche, un casque, du sang partout sur les cuisses, un décor de champ de bataille habité par des sensations de chaleur et de soif insupportables ? Qu'en est-il des violences enregistrées par nos corps porteurs d'expériences héritées ?

© Marie Magnin.
La beauté intense du corps de la danseuse traversé de part en part par des soubresauts qui le dépassent entretient avec notre cerveau reptilien d'étranges correspondances propres à nous "parler". S'il en va ainsi, c'est que l'interprétation ahurissante de Ruth Childs, magnifiée par les lumières de Joana Oliveira et les percussions de Stéphane Vecchione, inscrit artistiquement et durablement cette forme dans la très longue histoire de la violence accompagnant depuis qu'elle existe notre in-humanité.

Vu le jeudi 5 octobre à La Manufacture CDCN, dans le cadre du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole (FAB) qui a lieu du 30 septembre au 15 octobre 2023.

"Blast !"

© Marie Magnin.
Chorégraphie - performance : Ruth Childs.
Direction technique et création lumière : Joana Oliveira.
Recherche et création Sonore : Stéphane Vecchione.
Collaboration artistique : Bryan Campbell.
Costumes : Coco Petitpierre.
Réalisation costume : Anne Tesson, Coralie Chauvin.
Œil extérieur : Cécile Bouffard.
Coaching, Michèle Gurtner.
À patir de 12 ans.
Durée : 1 h.

Tournée
19 janvier 2024 : Pole Sud - CDCN, Strasbourg (67).
Mars 2024 : Le Gymnase - CDCN Roubaix Hauts de France, Roubaix (59).
Juin 2024 : La Maison - CDCN Uzès Gard Occitanie, Uzès (30).

FAB - 8e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
Du 30 septembre au 15 octobre 2023.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 05 57 93 18 93.
billetteriefab@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Vendredi 13 Octobre 2023
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