Danse

"Entre-Temps"… Un entre-deux générationnel entre réalité et son miroir inversé !

Pour sa dernière création, Philippe Decouflé marie différentes générations pour faire du théâtre un vaste univers où deux visions du monde se rencontrent par le biais de la musique, de la danse et de chansons. Ce sont celles de la vie réelle avec ses à-côtés et une autre, mise à découvert, harmonieuse. L'une devient le miroir inversé de l'autre et le chorégraphe nous invite, un instant, à nous projeter dans les coulisses de cet entre-deux.



© Jean Vermeulen.
Avant que le spectacle ne démarre, un homme, en costume et chaussures noirs, avec une chemise blanche auréolée de motifs noirs, danse, durant une dizaine de minutes, au rebord de la scène avec les rideaux fermés de celle-ci. C'est Philippe Decouflé.

En haut du plateau, côté jardin, il y a une horloge sur fond blanc qui, durant toute la représentation, affiche différentes heures sans considération d'une logique temporelle, les aiguilles noires avançant ou reculant à une allure plus ou moins rapide et de façon plus ou moins séquentielle.

Puis ouverture des deux rideaux, situés en avant et en arrière-scène. Les dessins les ornant sont ceux de rideaux de théâtre avec leurs lourds dessous. C'est une projection graphique d'un élément scénique sur lui-même. La création de Decouflé joue autant avec le temps qu'avec une configuration scénographique où la distorsion et la répétition sont les piliers.

© Jean Vermeulen.
Le spectacle est découpé en deux parties, la première est sur un même tempo avec des danseurs, de différents âges et sexes. À tour de rôle, deux d'entre eux s'assoient sur des chaises qui grincent, le temps marquant aussi son empreinte sur les éléments. Des panneaux noirs, portés par des protagonistes, passent devant chacun d'eux, ce qui les fait disparaître pour ensuite les faire apparaître un peu plus loin. D'autres moments donnent lieu à des rencontres où côtés, jardin et cour, les interprètes apparaissent sur un ensemble de rangées pour s'embrasser, les bras grands ouverts, quand d'autres restent les bras tendus dans le vide en avançant.

Au piano, Gwendal Giguelay est aux commandes. Sur ses compositions ainsi que celles de XtroniK et Guillaume Duguet, il accompagne le spectacle avec une gourmandise musicale, à savoir celle de mener de bout en bout et à un rythme soutenu, toute la représentation.

La première partie est composée de chorégraphies dans lesquelles les corps sont dans un laisser-aller tout en retenue, fluides et d'une fausse grâce qui se laisse aller tout en restant dans une maîtrise des équilibres. Cela finit avec une danse plus rythmée, la musique l'accompagnant venant de l'Europe de l'Est, les genoux un peu pliés, le buste droit et la plante des pieds tapant de façon synchronisée et cadencée les planches.

La seconde partie présente une configuration artistique beaucoup plus animée et en rupture avec la première. Les couleurs sont en effet multiples et beaucoup plus chaudes. Le plateau est découpé dans des aires de jeux situées les unes à côté des autres et où, dans chacune d'elles, les artistes ont leur propre activité, à savoir manuelle ou artistique.

Un protagoniste est ainsi avec une perceuse et l'utilise sur chacune de ses articulations corporelles pour jouer avec des cassures et des replis de ses membres. Un peu plus loin, un homme est devant sa table avec une tête de mort sur celle-ci. Située en avant-scène, Meritxell Checa Esteban, habillée de rouge, chante en play-back "La isla bonita" (1998) de Madonna. Puis plus loin, c'est "Dreamer" (1974) de Supertramp qui est chanté, sans play-back et a cappella, par Lisa Robert. Les aires de jeu semblent sans rapport entre elles au premier abord, sauf celui de la mort qui est au centre des planches avec cette tête de mort et autour d'elle, la vie dans ses différentes formes avec ses activités manuelles, artistiques ou quotidiennes.

© Jean Vermeulen.
Cette seconde partie donne un nouveau souffle, presque de jeunesse, avec son rythme plus enjoué et dynamique que la première partie qui était, à dessein, sur un tempo monotone, plus mesuré, celui d'un temps qui s'écoule tranquillement avec des personnages de différentes générations.

Dans le dernier tableau, le public se retrouve dans une situation scénographique inversée avec, devant lui, une vue des coulisses et un rideau transparent qui le sépare du plateau. Les spectateurs se retrouvent donc situés en arrière-scène face à un autre public, composé d'interprètes, situé sur scène. Le pianiste Gwendal Giguelay se retrouve cette fois-ci, côté jardin, à savoir du côté opposé où il était situé précédemment.

On y découvre ainsi la face cachée des séquences qui composaient la première partie avec des danseurs, habillés cette fois-ci, avec un collant noir et des plumes noires et blanches comme des ailes d'insectes sur leur dos. On y voit aussi ce qui se vit dans les coulisses dans lesquelles les artistes se déshabillent du rythme chorégraphique de la scène pour adopter celui de la mise en place avec des déplacements plus rapides, faits parfois en courant. Un seul changement est opéré, c'est celui où tout le monde se prend dans les bras alors qu'auparavant, ce n'était pas le cas. C'est un appel à l'amour et à la solidarité.

Ce sont aussi deux visions proposées, celle, la première, de la scène, symbolisant le théâtre du monde où la rencontre entre les protagonistes n'est pas unanime. Elle est d'actualité, où l'acceptation de l'autre et de l'étranger reste trop dictée par la peur et le rejet. La seconde vision, celle des coulisses, est un appel à l'humanité de chacun et où tous se retrouvent ensemble à s'aimer et à se retrouver. Vœux pieux ? La question ne se pose pas. Il s'agit juste d'y croire pour que cela puisse avoir une chance, aussi minime soit-elle, d'advenir. Et l'art permet, un instant, de le faire vivre avec poésie.
◙ Safidin Alouache

"Entre-Temps"

© Jean Vermeulen.
Conception et mise en scène : Philippe Decouflé.
Assistante : Violette Wanty.
De et avec : Dominique Boivin, Meritxell Checa Esteban, Catherine Legrand, Éric Martin, Alexandra Naudet, Michèle Prélonge, Yan Raballand, Lisa Robert, Christophe Waksmann
Piano : Gwendal Giguelay.

Avec la participation d'un groupe de volontaires amateurs : Sylvain Baby, Pierre Bancel, Julien Belotti Kolly, Lucie Billat, Minerva Bonnabel, Édith Bredon, Hippolyte Chenot, Sofiane Chériet, Caroline Chevalier, Timéo Couplan, Mathilde Dos Santos, Martine du Mesnil-Adelée, Marie-Hélène Fabra, Maxime Fichet, Eva Fottorino, Luna Galette, Nathalie Gaye, Arthur Jatteau, Wahiba Khenifi, Catherine Lapeyre, Catherine Laurent, Giova Lavalle Shighicelli, Christine Léger, Nadège Leidervager Lepetit, Élisabeth Levert, Gilles Marchand, Jean-Max Mayer, Audrey Mikaelian, Sophie N'diaye, Élodie Raison, Christian Rapin, Carlos Rodriguez, Thomas Roublot, Léa Saint-Gérand, Maï-Lan Peng Samy, Nidia Sanchez, Gilles Schneider, Sandrine Slimani, Hypo Soclet, Laure Thébert, Sonia Tribolet, Isabelle Vartanian, Aponi Valletoux, Edwige Van Houtte, Akara Yagi-Gohier.

Lumière, direction technique : Begoña Garcia Navas.
Décor : Jean Rabasse assisté d'Aurélia Michelin.
Costumes : Anatole Badiali.
Musiques originales : Gwendal Giguelay, XtroniK, Guillaume Duguet.
Montage des voix : Alice Roland.
Régie plateau : Léon Bony.
Régie lumière : Grégory Vanheulle.
Régie son et bruitages : Guillaume Duguet.
Régie générale : Chaufferie Antoine Cherix.
Accessoires : Lahlou Benamirouche.
Construction : Guillaume Troublé, Léon Bony, Matthieu Bony.
Costumiers : Jean Malo, Jean Baptiste, Arnaud Coeuff, Aurélie Conti.
Stagiaire Costumes : Cécilia Bouchez.
Accessoires costumes : Eugénie Delorme, Prisca Razafindrakoto.
Peinture : Katia Siebert, David Nouyrit, Sylvie Mitault, Margot Gillot, Jean Lynch.
Couturières Décor : Solange Comiti, Deborah Tuil.
Par la Compagnie DCA.
Durée : 1 h 50.

© Jean Vermeulen.
Du 9 octobre au 26 octobre 2025.
Mercredi et vendredi à 20 h, jeudi 23 à 19 h, dimanche à 16 h.
Espace Chapiteaux - La Villette, quai de la Charente, Paris 19e.
>> Billetterie en ligne
>> lavillette.com

Safidin Alouache
Mercredi 22 Octobre 2025
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