Lyrique

Emma Calvé : Prima Donna d'hier et d'aujourd'hui

Quel est le point commun entre Colette, son premier mari Willy, Anatole France et Jean Jaurès ? Ils allaient tous écouter la célèbre soprano Emma Calvé - née Rosa Emma Calvé en 1858, à Decazeville, près de Millau (près du lieu où se repose votre estimée reporter lyrique !)



Emma Calvé, dans "Sapho", à l'Opéra Comique © Théobald Chartran.
Où allaient-ils applaudir celle qui créa, grâce aux moyens étendus de sa voix à la large tessiture (c’est-à-dire la voix d’une soprano lyrique et dramatique), le rôle féminin de "Cavalleria Rusticana" en 1890 à Rome ? Celle qui allait littéralement recréer le rôle de Carmen en 1892 et devenir la coqueluche des mélomanes de Covent Garden à Londres et du Metropolitan Opera de New York ? Jean Jaurès et Colette se rendaient au "Mercure", boulevard Malesherbes, pour écouter des mélodies de C. Debussy et E. Chabrier, mais aussi à l’Opéra Comique, à Paris. Quand la diva n’était pas en tournée chinoise, américaine ou russe.

Mais reprenons du début ce véritable conte de fées. Quand la petite Rosa naît au cœur de ce Rouergue vert et sauvage, dans cette région aveyronnaise si pleine de caractère, son destin tracé d’employée des Postes ne laisse en rien présager une brillante carrière de chanteuse d’opéra. Pourtant à vingt ans, Rosa quitte Millau pour Paris et y prend des leçons de chant. Bientôt, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles - déjà défricheur de talents - lui offre des débuts remarqués en 1882. Devenue Emma Calvé, la soprano entame une carrière dont le seul équivalent connu serait celle de la Callas.

Elle crée le rôle de la "Sapho" de Jules Massenet en 1897 et n’a plus rien à conquérir quand le compositeur français écrit à son sujet : i["Quelle fortune pour un directeur, des auteurs et pour le public, de vous posséder dans un théâtre !". Le tsar de toutes les Russies l’applaudit à Saint-Pétersbourg comme la reine Victoria dans le château de Windsor, où Emma a désormais ses entrées.

Bref, le monde entier a les yeux de Don José pour Emma/Carmen, la jolie diva, au cœur généreux. L’argent, qu’elle gagne en abondance, est reversé à des œuvres charitables - essentielles en cette époque implacable. La chanteuse finance une école de chant à Cabrières, dans sa région natale, où elle possède un château et y anime des master-classes courues par les apprenties du monde entier. Elle songe aussi aux vacances des enfants pauvres, en faisant construire un sanatorium. Elle aidera même en 1908 les ouvriers gantiers millavois au chômage.

Marcel Proust et Paul Morand se souviendront de celle qui incarna si bien la "Carmélite" de Reynaldo Hahn en 1902. Malheureusement, la Prima Donna, qui voyageait dans le monde entier dans un train totalement réservé à ses effets personnels, finira ruinée et accueillie par une amie d’enfance au château de Creissels, près de Millau. Nullement abattue, Emma Calvé y écrit ses mémoires, et y laisse beaucoup de souvenirs qu’on peut encore admirer : des portraits, des objets de sa toilette, des étoles, des partitions, une impressionnante bibliothèque et même des malles griffée d’une marque célèbre.

Orphelins de la belle Emma depuis 1942, les mélomanes peuvent encore l’écouter puisque sa voix unanimement vénérée a été enregistrée grâce aux disques Pathé et Grammophone. On peut aussi admirer ses portraits au Musée Chéret de Nice, dans la Galerie du Clark Institute de New York, ou lui rendre hommage sur sa tombe dans le cimetière de Millau !

• À lire :
"My life à New York" (1923) ;
"Sous tous les ciels, j’ai chanté" (Plon, 1940) ;
Quelques biographies (et sites sur le net).
b[• À voir :]
Des reliques précieuses au Château de Creissels (devenu en 1960 un hôtel) et une salle complète consacrée à la diva dans le musée de Millau.

Photo : Emma Calvé, dans "Sapho", à l'Opéra Comique.
Source : Bibliothèque nationale de France 1897.
Auteur : Théobald Chartran (1849–1907).

Christine Ducq
Mardi 24 Juillet 2012
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