Théâtre

"Dieu est un DJ" Expérience alternative à celle des amateurs de marathons sous les Sun lights

C'était en 1998 et déjà le monde avait basculé. Tout le monde ne le savait pas. Falk Richter écrivait "Dieu est un DJ". En faisant le portrait de deux jeunes gens adeptes/acteurs de téléréalité aux caractères diamétralement opposés - il y a la fille volubile animatrice de télé et l'ingénieur du son dj taiseux -, l'auteur délivre une analyse et une critique féroce et lucide d'une société, alors en devenir, dont il place les origines dans les mythologies des confins de la Californie, celles du désert de la Mort, fournisseur de fantasmes, d'ecstasy et de serial killers.



© Cie La Rumeur.
Dans sa mise en scène, Patrice Bigel fait entrer le spectateur dans le temps réel d'un studio réduit à son essentiel. La table de mixage du DJ, le micro, les fauteuils-poufs, les étagères couvertes des DVD de la réussite.

Les comédiens sont criants de vérité, parfaitement à l'aise dans le langage direct et une gestuelle contemporaine. Ils sont bien sur scène ces cobayes pour qui la vie n'est qu'énergie et jouissance continue. Plongés dans une réalité permanente sans fards ni interdits qui ignore toute la mémoire du monde, et satisfait immédiatement les pulsions et fantasmes les plus triviaux. Être vu, s'accaparer… dans la sensation de la toute-puissance, insensibles, ignorant tout sentiment.

Le jeu est centré sur les caractères, il en éclaire progressivement les facettes et suit la dégradation des relations. Les comédiens encerclés par quatre murs imaginaires qu'ils ne cherchent surtout pas à briser sont bien au naturel. Dans "Dieu est un DJ", le réalisme est montré sans histrionisme.

© Cie La Rumeur.
Face à cette "satisfaction de vivre" des personnages, le spectateur n'a pas d'échappatoire. Il rejoint le temps réel de ces fondus du son et de l'image de soi. Et s'il échappe au voyeurisme, c'est parce que Patrice Bigel établit d'entrée de jeu une convention d'harmonie : celle d'un conteur qui capte l'attention. Avec sa couleur de voix et sa qualité de silence appuyé par une bande-son composée à partir de bruits blancs.

Particulièrement belle, celle-ci fait ressortir une musique du monde concrète, électroacoustique, un état de nature de l'Art. Qui évolue, se dégrade progressivement, en dissonance, en bruit et bientôt en rythmique binaire appuyée.La bande-son régit discrètement tout le jeu. De la danse-théâtre presque invisible.

Cela suffit pour apporter la contradiction à ce qui est montré et offrir aux personnages de Falk Richter une forme de réconfort. Le spectateur applaudit ainsi une expérience alternative aux amateurs de marathons sous les Sun lights : celle du Théâtre.

On the road again. In reverse…

"Dieu est un DJ"

© Cie La Rumeur.
Texte : Falk Richter (chez L'Arche Éditeur).
Traduction : Anne Monfort.
Mise en scène, son : Patrick Bigel.
Avec : Mara Bjeljac, Simon Cadranel.
Scénographie, lumières : Jean-Charles Clair.
Costumes : Agnès Chaigneau.
Régie son : Antonin Bensaïd.

Du 4 au 13 octobre et du 8 au 24 novembre 2019.
Vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 18 h.
Usine Hollander, Choisy-le-Roi (94), 01 46 82 19 63.
>> compagnielarumeur.com
>> usinehollander.blogspot.com

Jean Grapin
Dimanche 13 Octobre 2019
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