Théâtre

"Die Odyssee (L'Odyssée)" Schauspielhaus de Vienne… La grotte comme lieu d'expérimentation d'un "théâtre sans spectateurs"

Jakob Engel et Jan Philipp Stange envisagent l'histoire non racontée dans l'épopée et conçoivent leur propre "Odyssée" avec la traduction anglaise d'Emily Wilson (2017) en filigrane. La grotte, lieu mythique par excellence, est confrontée à la banalité prétendue du jeu scénique en guise d'expérimentation d'un "théâtre sans spectateurs".



© Matthias Heschl.
Jakob Engel et Jan Philipp Stange ont consulté l'Association régionale de spéléologie de Vienne et de la Basse-Autriche et Michael Nagl, cinématographe spécialisé dans la recherche des grottes pour les décors de "L'Odyssée". Le réalisme de la scène transformée en une grotte, avec un éclairage réaliste et tamisé d'Oliver Mathias Kratochwill et Christoph Pichler, évoque la sensation d'une descente aux enfers en entrant dans la salle de spectacle souterraine de la Schauspielhaus de Vienne. Judith Altmeyer, habillée en cafard géant, entre en scène en rampant, ses gémissements se brisent en échos. Les effets sonores de Benjamin Bauer, qui captent bien la profondeur sonore des échos et des gouttes d'eau dans une grotte, renforcent la disposition scénique adaptée pour une épopée…

Mais c'est trompeur! Le topos de la grotte comme lieu mythique est brisé lorsque le cafard interpelle les spectateurs… avec "Voyez-vous, j'ai une grosse pression ce soir. Je ressens tous vos yeux sur moi", pour introduire une réflexion sur la nature du théâtre fait pour plaire aux spectateurs qui jugent lorsqu'ils ne sont pas contents. "C'est toujours vous qui me jugez. Vous me dites que le spectateur est moyen, mauvais… Mais envisagez-vous, si moi aussi, je suis mécontente puisque j'ai des spectateurs moyens !" Les lignes qui suivent couvrent des choses quotidiennes de son parcours professionnel, jusqu'aux détails aléatoires sans finalité qui ne font qu'humaniser le "monstre" de la grotte.

© Matthias Heschl.
Les monologues du cafard sont intercalés épisodiquement du chant velouté et ritualiste de Jacob Bussmann dont les paroles sont tirées des extraits choisis de la traduction anglaise de "L'Odyssée" d'Emily Wilson (2017), et par les scènes de l'exploration de la grotte par trois chercheurs (Simon Bauer, Sebastian Schindegger, Til Schindler). Comme les monologues, l'exploration se décompose vite en une série d'actions banales et de conversations inaudibles. Le contraste entre la gravité de l'ensemble scénique et le chant racontant Ulysse, les Cyclopes et la tristesse de Pénélope, d'une part, et, de l'autre, le cafard et les explorateurs qui font leurs propres affaires créent une impression de gonflement temporel qui pose un défi aux spectateurs pour rester intéressés.

Plusieurs partent, prouvant, selon l'observation du cafard au début, qu'il existe une règle implicite selon laquelle le théâtre est censé plaire au public (d'une autre perspective, cela fait même partie de l'expérimentation). Au fur et à mesure, ceux qui arrivent à dompter l'ennui parviennent à apprécier le spectacle comme étant en soi et pour soi dans le gonflement temporel qui incite une méditation collective.

© Matthias Heschl.
Seule la fin ressemble à quelque chose d'une représentation conventionnelle : après une nuit d'ivresse, un petit tremblement de terre fait tomber quelques rochers dans la grotte qui tuent deux des trois chercheurs. Le dernier qui reste rencontre enfin le cafard, prend la main que lui offre la créature et ils partent tous deux dans les ténèbres. Cet acte réconciliateur signale qu'il est enfin temps de réfléchir sur le sous-titre du spectacle "À quoi ressemblerait le monde après la pandémie ?". La fin suggère-t-elle que l'on devrait accepter la nouvelle réalité? Or, la réponse n'existe pas, puisque la pandémie n'est enfin qu'une partie de l'odyssée de la société vers un futur inconnu et indéterminé… qu'on devrait tout de même embrasser dans un acte de réconciliation.

Vu le 8 juillet 2022 au Schauspielhaus Wien (Porzellangasse 19, Vienne, 9e district).

"Die Odyssee (L'Odyssée)"

© Matthias Heschl.
Concept : Jakob Engel et Jan Philipp Stange.
Texte : Judith Altmeyer, Jakob Engel et Jan Philipp Stange.
Mise en scène : Jakob Engel et Jan Philipp Stange.
Assistantes à la mise en scène : Johanna Mitulla et Anna Rumpler.
Avec : Judith Altmeyer, Simon Bauer, Jacob Bussmann, Sebastian Schindegger, Til Schindler.
Décors et costumes : Jakob Engel et Jan Philipp Stange.
Musique : Jacob Bussmann.
Technicien du son : Benjamin Bauer.
Éclairage : Oliver Mathias Kratochwill et Christoph Pichler.
Dramaturgie : Lucie Ortmann.
Assistante pour l'équipement : Camilla Dina Smolders.

Spectacle en allemand.
Il a été répresenté du 30 juin au 8 juillet 2022.
Schauspielhaus Wien, Porzellangasse 19, Vienne, 9e district.
Tél. : +43 1 317 01 01 18, du mardi au vendredi, de 16h à 18h.

>> schauspielhaus.at

© Matthias Heschl.

Vinda Miguna
Lundi 18 Juillet 2022
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