Théâtre

"Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu"… Et, dans mon cœur, le temps n'en finit pas de battre…

Réunir sur un même plateau deux comédiennes que pas moins de soixante-dix années séparent apparaît tenir de la gageure… C'est pourtant celle relevée par Julien Duval, trentenaire à l'enthousiasme juvénile, se saisissant poétiquement du texte éponyme de Philippe Dorin pour en livrer une mise en jeu transcendant l'intérêt de l'ouvrage initial.



© Pierre Planchenault.
La scénographie féérique, tout autant que la création musicale, participe grandement au sentiment "d'émerveillement" émanant de ce conte sans âge, lequel, outre ses belles fulgurances, n'est cependant pas exempt d'attentes - involontairement - non comblées.

Le sujet, certes pertinent - au moment où un promeneur incarnant la faucheuse vient lui annoncer, en fredonnant, que son temps est fini, une vieille dame négocie un répit pour rencontrer la petite fille qu'elle était afin de lui rendre ses chaussures d'enfant -, nous immerge dans un univers propre à cristalliser les souvenirs d'enfance enfouis en chacun.

Ouvrir grand "les sens", pour permettre les projections identificatoires les plus libres possibles, relève d'un parti pris intéressant… sauf que, faute d'une écriture plus lisible et surtout plus percutante du thème "princeps du temps qui passe", on reste en attente de ce qui n'advient que par touches.

Ainsi, lorsque la juxtaposition de saynètes se ponctue par le tableau de la vieille dame ayant déjà enfilé un peignoir sur ses habits de scène pour venir délivrer, en bord de plateau, un message final particulièrement abscons (sur les différences au réveil entre la tasse de café noir, dans laquelle se dilueraient les rêves des adultes, et le bol de lait froid, dans lequel le cauchemar des enfants surnagerait), on se demande où réside le message si profond qu'il ait été sciemment noyé dans une adresse sibylline.

© Pierre Planchenault.
Ceci étant dit, même si la réflexion proposée en filigrane sur le temps qui passe en chacun peut sembler inaboutie, la mise en jeu recréant l'univers onirique est de nature à séduire. La scénographie y contribue fort poétiquement en proposant de délicates maisons miniatures, éclairées de l'intérieur, et se détachant sur un plateau bleu nuit parfois recouvert de flocons où s'accrochent fantaisies éphémères destinées à fondre comme neige au soleil. La création musicale, faisant alterner piano et cordes, enveloppe d'une douce mélancolie les saynètes.

Petite fille et vieille dame se rencontrent autour d'une conversation mêlant l'imaginaire pétulant de la petite fille, recomposant le réel pour en faire matière de douces divagations, et l'insouciance heureuse de la vieille dame recouvrée au contact de sa petite enfance. "Là c'est la fenêtre, derrière c'est juste un désert, une montagne, une mer, un petit pré avec des moutons, des flocons et un berger… ça c'est le petit frère, pousse-toi (coup de pied à l'appui)… ça c'est mes chaussures et ça c'est moi qui attends…", dira spontanément la petite fille, joueuse.

"Comme elle est venue vite la nuit, comme elle est devenue petite ta maison. Bonne nuit, porte, table, mouton, berger, chien", lui répondra en écho la vieille dame, un brin rieuse face à son existence revécue en un instant.

Et lorsque le sifflotant promeneur, aux gestes élégants de magicien bienveillant, vient "tout naturellement" annoncer sa mort à la vieille dame, celle-ci n'en paraîtra aucunement troublée demandant uniquement le délai "d'une pensée". Ce sera le temps de (se) raconter d'étranges histoires (prémonitoires) où les choses disparaissent au fur et à mesure où elles sont nommées. Avec, en point d'orgue de cette tendresse complice entre les deux âges féminins, cette saisissante "réplique" du même : "(la petite fille) Moi je m'appelle Aimée. Et toi ? (la vieille dame) Moi c'est Emma. (la petite fille) Aimée, Emma, c'est presque le même nom. (la vieille dame) Oui, c'est juste le temps qui change".

De beaux moments sensibles, interprétés par deux comédiennes et un comédien touchants, font de cette création un moment de grâce… pour peu que l'on ne s'attarde pas trop à la complaisance d'un texte "impressionniste" qui, tout en voulant ouvrir aux rêves et aux interprétations tous azimuts, élude soigneusement la question essentielle de l'angoisse de mort, vieille comme l'humanité. Les enfants ont droit aux rêves, tout en méritant que l'on ne les protège pas abusivement… de la vie.

"Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu"

© Pierre Planchenault.
Texte : Philippe Dorin (Éditions L'École des Loisirs - Théâtre).
Mise en scène : Julien Duval, artiste compagnon, Compagnie Le Syndicat d'initiative.
Assistant à la mise en scène : Carlos Martins.
Avec : France Darry (la vieille dame), Carlos Martins (le promeneur), Juliette Nougaret et Camille Ruffié (la petite fille, en alternance)
Scénographie : Olivier Thomas.
Composition musicale : Kat May.
Lumières : Michel Theuil.
Costumes : Edith Traverso.
Création sonore : Madame Miniature.
Régie lumière : Anna Tubiana.
Seconde assistante : Maud Martin.
Doublure enfants : Zoé Gauchet.
Durée : 50 minutes.
Compagnie Le Syndicat d'initiative.

A été joué du 8 au 16 novembre au TnBA, Bordeaux (33).

Tournée 2019/2020
5 décembre 2019 : L'Odyssée - scène conventionnée, Le Palace, Périgueux (24).
10 au 14 décembre 2019 : Le Bateau Feu - scène nationale, Dunkerque (59).
23 au 25 janvier 2020 : Théâtre de la Coupe d'Or - scène conventionnée, Rochefort (17).
17 et 18 mars 2020 : Festival La Tête dans les nuages, Théâtre, Angoulême (16).
26 et 27 mars 2020 : MCB° - Maison de la Culture, Bourges (18).
10 avril 2020 : Théâtre Ducourneau - théâtre municipal, Agen (47).

Yves Kafka
Dimanche 24 Novembre 2019
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