Théâtre

Comédie sociale, satire paradoxale qui délivre un message d’optimisme

"La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce", Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Dans le cheminement vers l’autel du Veau d’Or du commerce, il existe des haltes à l’hôtel des voyageurs où l’on fait grise mine. Années soixante, années deux mille. "La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce" de Joël Pommerat s’intéresse au métier de base des sans grades, relate en deux épisodes le quotidien, les illusions perdues d’une équipe de vendeurs au porte à porte. Des VRP dans le huis clos de leur chambre d’hôtel… En porte-à-faux. Un métier en déclin.



© Elizabeth Carecchio.
Le miroir tendu par l’auteur est grossissant, le regard acéré. Et c’est avec un ahurissement joyeux que le spectateur est témoin de ces réunions de bilan - perspectives des ventes et de niveau des rémunérations à l’échelle du pâté de maisons. Là où se déchire la société à la lisière de sa prospérité, là où résident les acheteurs de plus en plus impécunieux (pavillons de province, couloirs de HLM). Là où la théorie des ventes et du marketing dans sa vision idéale a du mal à passer.

Il y a les errements des stratégies et des méthodes en mode paternaliste puis participatif, les échecs, les doutes, les jalousies, les joies cyniques d’une équipe qui se soude et se dessoude au rythme de la louse, la dèche. Dans la récurrence des jours, les aspects comiques et critiques de la situation, toujours même et différente, se décantent naturellement.

Et le spectateur décrypte en douceur la dérive, le mensonge du vocabulaire et la méthode Coué qui sert de cache vertu aux petites lâchetés et vanités, la fuite en avant, la prolétarisation. Et la solitude qui se manifeste dès lors que les théories de l’échange marchand se muent sans fard en quasi vente forcée, en abus de faiblesse. Quand le moteur de l’achat est la peur ou la défense de ses droits... le consumérisme se consume.

© Elizabeth Carecchio.
Le message serait déprimant si la manière théâtrale n’extirpait, de cette matière économique, une matière humaine à la grande force comique où la réussite (ou l’échec) ne doivent rien à une méthode ou une technique de vente, mais bien plutôt un art qui préserve l’équilibre de l’échange. Le jeu des comédiens en stimule les mystères et les tendresses.

Le lit tourne, la chambre d’hôtel change, la roue tourne. "La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce" est une comédie sociale, une satire paradoxale qui délivre un message d’optimisme.

Car, pour être de bon commerce semble dire l’auteur, il faut ce quelque chose, cette manière qui entre en vibration avec soi, cette part d’humain dont le théâtre est porteur.

Le spectateur attend avec impatience quelle forme prendra, dans un troisième épisode (forcément à venir), "La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce" : part d’utopie.

"La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce"

© Elizabeth Carecchio.
Un spectacle de Joël Pommerat.
Collaboration artistique : Philippe Carbonneaux.
Avec : Patrick Bebi, Hervé Blanc, Éric Forterre, Ludovic Molière et Jean-Claude Perrin.
Création lumières et scénographie : Éric Soyer, assisté de Renaud Fouquet.
Création costumes : Isabelle Deffin.
Créations sonores : François Leymarie.
Recherches sonores : Yann Priest.
Musique : Antonin Leymarie.
Construction décors et accessoires : Thomas Ramon - À travers Champs.
Création vidéo : Renaud Rubiano.
Durée : 1 h 20.

Du 9 octobre au 16 novembre 2013.
Du mardi au samedi à 20 h 30, samedi représentation supplémentaire à 15 h 30.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

Jean Grapin
Mardi 22 Octobre 2013
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