David Geselson et Alma Palacios © Filipe Ferreira.
De minuscules morceaux de papiers blancs jonchent la scène semi-circulaire du Théâtre des Bouffes du Nord, tels du gravier ou de délicats flocons de neige immaculés. En fond de scène, une toile vert sapin, devant laquelle se trouvent une petite table, deux chaises dépareillées, une bouilloire et deux gobelets. Difficile de faire plus sobre. Il est vrai que les murs rouge pompéien, décrépis et fissurés par le temps de ce théâtre possèdent un charme tel, qu'un décor plus conséquent y trouve difficilement sa place. Le dépouillement y est de mise. Et puis, les fantômes y semblent toujours plus présents qu'ailleurs…
Les deux amants du titre s'avancent d'un pas décidé, face au public. Leurs tenues (pantalon, chemise et chaussures plates pour chacun d'entre eux) s'harmonisent dans des teintes automnales et leur confèrent une sorte d'unité partagée. Le duo se met d'emblée à raconter, en chœur, la crise d'étouffement qui prit la jeune femme des années auparavant, alors que le couple regardait "Scarface" à la télévision. Puis, le départ pour les urgences…
Les deux amants du titre s'avancent d'un pas décidé, face au public. Leurs tenues (pantalon, chemise et chaussures plates pour chacun d'entre eux) s'harmonisent dans des teintes automnales et leur confèrent une sorte d'unité partagée. Le duo se met d'emblée à raconter, en chœur, la crise d'étouffement qui prit la jeune femme des années auparavant, alors que le couple regardait "Scarface" à la télévision. Puis, le départ pour les urgences…
Grégoire Monsaingeon et Océane Caïraty © Isabelle Fauvel.
Leurs récits sont similaires, les mots identiques, seuls les pronoms diffèrent. Elle, emploie le "je" et raconte à la première personne ; lui, utilise la troisième personne du singulier : le "je" devient "elle". Tous deux nous regardent, se regardent, parlent de concert, précisent, reprennent, répètent… Puis, à l'hôpital, les récits se dédoublent, le tandem se trouvant soudain tragiquement séparé : elle, dans la chambre, entre la vie et la mort, lui, dans la salle d'attente. Chacun raconte alors l'événement tel qu'il le vit, à l'instant présent. Les paroles s'enchevêtrent toujours, le rythme ne décélère pas d'un iota, l'angoisse envahit tout l'espace.
Alors que le drame a été évité de justesse, que leur histoire aurait pu s'arrêter là, commence la deuxième partie de leur existence. En chœur, ils racontent le retour à la maison, la vie qui reprend, avec de nouvelles résolutions : apprendre un poème par cœur, jouer du piano… Tout est désormais possible puisque la vie leur a été redonnée ; ils "ont le temps", comme ils aiment à se le répéter.
Les années passent. Ils déménagent. Leur fille devient ado. Elle va voir "Scarface" à la Cinémathèque. Eux, n'ont toujours pas vu la fin du film. Ils "ont le temps". Et ne pas voir la fin de "Scarface", ne serait-ce pas un moyen de prolonger le temps justement ? D'autres années passent encore. Leur fille quitte la maison. Eux se confinent, se déconfinent, se reconfinent, achètent une forêt pour y vivre, et continuent à faire du théâtre…
Puis, quarante ans après la première, une nouvelle scène d'hôpital. Les deux souffles ne font désormais plus qu'un, une voix s'est tue. Peu importe laquelle, puisque l'autre la porte en lui pour toujours, dans ses pensées. Quarante ans d'amour ont fini d'unir les amants à jamais. Et alors que l'un, puis l'autre, s'en retournent à la terre, une vie d'amour s'est écoulée qui aurait pu s'arrêter devant "Scarface" et ne jamais être vécue.
La vie ne tient qu'à un fil et l'amour aussi, nous dit Tiago Rodrigues. De ce récit polyphonique émerge un chemin de vie, avec ses hauts et ses bas, ses petits bonheurs et ses petits tracas, ses félicités et ses moments de tristesse où, ensemble, ils ont avancé, main dans la main. Une vie en tandem, deux moitiés qui ne font qu'un.
Tiago Rodrigues a décidément l'art de raconter l'indicible, de nous bouleverser au plus profond de notre âme. Comme il l'a montré encore récemment en Avignon avec sa dernière pièce "La Distance", il sonde les relations humaines et familiales comme personne. Avec "Chœur des amants", il signe là encore une œuvre délicate, tout en sensibilité, qui sonne juste, sans être dépourvue d'humour. (Quelques rires féminins n'ont pas manqué de se faire entendre lorsque la femme remarque "Il a fallu que je sois presque en train de mourir pour qu'il range la maison tout seul." Un sentiment de vécu peut-être…).
Alors que le drame a été évité de justesse, que leur histoire aurait pu s'arrêter là, commence la deuxième partie de leur existence. En chœur, ils racontent le retour à la maison, la vie qui reprend, avec de nouvelles résolutions : apprendre un poème par cœur, jouer du piano… Tout est désormais possible puisque la vie leur a été redonnée ; ils "ont le temps", comme ils aiment à se le répéter.
Les années passent. Ils déménagent. Leur fille devient ado. Elle va voir "Scarface" à la Cinémathèque. Eux, n'ont toujours pas vu la fin du film. Ils "ont le temps". Et ne pas voir la fin de "Scarface", ne serait-ce pas un moyen de prolonger le temps justement ? D'autres années passent encore. Leur fille quitte la maison. Eux se confinent, se déconfinent, se reconfinent, achètent une forêt pour y vivre, et continuent à faire du théâtre…
Puis, quarante ans après la première, une nouvelle scène d'hôpital. Les deux souffles ne font désormais plus qu'un, une voix s'est tue. Peu importe laquelle, puisque l'autre la porte en lui pour toujours, dans ses pensées. Quarante ans d'amour ont fini d'unir les amants à jamais. Et alors que l'un, puis l'autre, s'en retournent à la terre, une vie d'amour s'est écoulée qui aurait pu s'arrêter devant "Scarface" et ne jamais être vécue.
La vie ne tient qu'à un fil et l'amour aussi, nous dit Tiago Rodrigues. De ce récit polyphonique émerge un chemin de vie, avec ses hauts et ses bas, ses petits bonheurs et ses petits tracas, ses félicités et ses moments de tristesse où, ensemble, ils ont avancé, main dans la main. Une vie en tandem, deux moitiés qui ne font qu'un.
Tiago Rodrigues a décidément l'art de raconter l'indicible, de nous bouleverser au plus profond de notre âme. Comme il l'a montré encore récemment en Avignon avec sa dernière pièce "La Distance", il sonde les relations humaines et familiales comme personne. Avec "Chœur des amants", il signe là encore une œuvre délicate, tout en sensibilité, qui sonne juste, sans être dépourvue d'humour. (Quelques rires féminins n'ont pas manqué de se faire entendre lorsque la femme remarque "Il a fallu que je sois presque en train de mourir pour qu'il range la maison tout seul." Un sentiment de vécu peut-être…).
© Pauline Deboffles.
La partition de l'auteur lisboète, magnifiquement composée, n'est pas aisée, et les comédiens – Grégoire Monsaingeon et Océane Caïraty, en alternance avec David Geselson et Alma Palacios – la maîtrisent en virtuoses, dirigés, on l'imagine, avec une précision d'orfèvre. Les mêmes phrases sont formulées tantôt de manière synchronisée, tantôt séparément, tantôt encore les acteurs parlent en même temps pour dire ou décrire des choses différentes… L'auteur semble s'être amusé à expérimenter l'infinité des possibles. À ce récit à deux voix s'entremêlent également des dialogues et des apartés…
Dans une mise en scène minimaliste, avec des déplacements réduits au strict minimum, il et elle sont ce merveilleux couple d'inséparables, toujours côte à côte, soudés à jamais, comme le souligne si joliment "La chanson des vieux amants" de Jacques Brel : "Mais mon amour/Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour/De l'aube claire jusqu'à la fin du jour/Je t'aime encore tu sais/Je t'aime". Bouleversant !
◙ Isabelle Fauvel
Spectacle vu au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, le 23 septembre 2025.
Dans une mise en scène minimaliste, avec des déplacements réduits au strict minimum, il et elle sont ce merveilleux couple d'inséparables, toujours côte à côte, soudés à jamais, comme le souligne si joliment "La chanson des vieux amants" de Jacques Brel : "Mais mon amour/Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour/De l'aube claire jusqu'à la fin du jour/Je t'aime encore tu sais/Je t'aime". Bouleversant !
◙ Isabelle Fauvel
Spectacle vu au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, le 23 septembre 2025.
"Chœur des amants"
© Filipe Ferreira.
Texte et mise en scène : Tiago Rodrigues.
Scénographie : Magda Bizarro et Tiago Rodrigues.
Lumières : Manuel Abrantes.
Costumes : Magda Bizarro.
Traduction française : Thomas Resendes.
Avec : Alma Palacios ou Océane Caïraty (en alternance) et David Geselson ou Grégoire Monsaingeon (en alternance).
Durée : 55 minutes.
A été représenté du 23 au 27 septembre 2025 au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.
Tournée
5 décembre 2025 : La Ferme du Buisson - Scène nationale, cinéma, centre d'art contemporain, Noisiel (77).
8 et 9 janvier 2026 : Théâtre de l'Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande (35)
22 janvier 2026 : Centre d'art et de culture - Espace Culturel Robert-Doisneau, Meudon (92).
24 janvier 2026 : Scène Nationale, Dieppe (76).
27 janvier 2026 : Les Transversales - Église Jeanne d'Arc, Verdun (55).
29 et 30 janvier 2026 : L'arc - Scène nationale Le Creusot (71).
6 février 2026 : Le Molière - Théâtre de Gascogne, Mont-de-Marsan (40).
27 mars 2026 : L'Entracte, Sablé-sur-Sarthe (72).
2 au 4 avril 2026 : Théâtre de Liège (Belgique).
Scénographie : Magda Bizarro et Tiago Rodrigues.
Lumières : Manuel Abrantes.
Costumes : Magda Bizarro.
Traduction française : Thomas Resendes.
Avec : Alma Palacios ou Océane Caïraty (en alternance) et David Geselson ou Grégoire Monsaingeon (en alternance).
Durée : 55 minutes.
A été représenté du 23 au 27 septembre 2025 au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.
Tournée
5 décembre 2025 : La Ferme du Buisson - Scène nationale, cinéma, centre d'art contemporain, Noisiel (77).
8 et 9 janvier 2026 : Théâtre de l'Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande (35)
22 janvier 2026 : Centre d'art et de culture - Espace Culturel Robert-Doisneau, Meudon (92).
24 janvier 2026 : Scène Nationale, Dieppe (76).
27 janvier 2026 : Les Transversales - Église Jeanne d'Arc, Verdun (55).
29 et 30 janvier 2026 : L'arc - Scène nationale Le Creusot (71).
6 février 2026 : Le Molière - Théâtre de Gascogne, Mont-de-Marsan (40).
27 mars 2026 : L'Entracte, Sablé-sur-Sarthe (72).
2 au 4 avril 2026 : Théâtre de Liège (Belgique).