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"Cendres sur les mains" La femme qui murmurait à l'oreille des morts

Dead Can Dance : "Les morts peuvent danser" ! Beauté, Lisa Gerrard est ma chanteuse préférée… J'ai assisté à la représentation de "Cendres sur les mains" sans avoir pris le temps de me renseigner. Bien m'en a pris ! Par les temps qui courent, j'aurais pu penser que ce spectacle allait ajouter au blues de la saison et au retour des contaminations, encore un peu plus de dépression. Et non !



© Jon. D Photographie.
Ce que je retiens, c'est d'abord une voix, celle de Prisca Lona. Envoûtante et habitée. Comme celle de Lisa Gerrard que je cite plus haut et à qui, un temps, elle m'a fait penser. Prisca Lona, la silhouette fine, le costume taillé sur mesure et la beauté lumineuse rattrapée par la bougie dans une semi-obscurité. Une "survivante" revenue des morts… de la mort.

Puis, progressivement, le plateau s'ouvre et s'éclaire juste un peu plus devant nous. Des sacs portés par deux hommes. Un duo. Ils pourraient être frères tant leur ressemblance physique est frappante. Ils portent la même tenue, ils sont fossoyeurs. Ils transportent des corps et les entassent. Tous deux côtoient les cadavres, manipulent des bidons d'essence et se retrouvent dans une marée de cendres. Une mer d'horreur ! Ils font ce qu'on leur demande de faire sans aucun autre retour que de devoir appliquer sans broncher ce "travail" insoutenable, monstrueux qui va s'attaquer à leur propre corps et à leur âme.

© Jon. D Photographie.
Et qui est cette femme ? Là ? Qu'ils croyaient morte et qui nous parle. Cette femme perdue au milieu des cendres. Cette femme, seule, qui a laissé derrière toute une vie. Une vie qu'elle ne retrouvera pas. Peut-être se console-t-elle en murmurant à l'oreille des morts. D'ailleurs, d'où viennent ces corps ? Qui sont ces "morts" ? Ils ont fui, quitté un pays ? Les conflits. Une guerre… Quelle guerre ? On ne sait pas et là n'est pas le propos. La mort en a attrapé plus d'un et, dans cette marée de corps, cette femme dont on ne sait rien, les protège encore.

Se rend-elle encore compte que son cœur bat ?

Les deux fossoyeurs, habilement interprétés par Olivier Hamel et Arnaud Carbonnier, parfois drôles, parfois dépassés, complètement impliqués, permettent à ce spectacle quelques respirations agréables tant leurs voix et leur présence sont remarquables. Leurs personnages vont tenter de lutter, de demander un peu de gratitude… En vain ! Mourir d'avoir enterré les morts… Quel comble !

© Jon. D Photographie.
J'ai assisté à la représentation de "Cendres sur les mains" sans avoir pris le temps de me renseigner. Bien m'en a pris. Bien que le thème abordé ne soit pas super "funky", c'est un moment bouleversant et perturbant pour le spectateur. J'ai pu échanger à la fin du spectacle avec certains d'entre eux. Perturbant parce que ces guerres n'en finissent pas… Parce que des êtres humains voient toute une vie basculer sans rien n'avoir demandé. Bouleversant parce que le trio de comédiens s'en donne à cœur joie malgré la mort et l'obscurité qui rythment chacun de leurs mots, chacun de leurs pas…

La pièce est prolongée, je ne saurai que trop vous la conseiller. Oui, il y a la Covid, il y a la déprime des fêtes de fin d'année, il y a toujours des prétextes à ne pas entrer dans une salle quand on n'est pas certain de s'y amuser… mais je vous garantis que le chemin parcouru jusqu'au Studio Hébertot ne vous fera pas regretter d'avoir au moins ce bonheur d'être en vie !

"Cendres sur les mains"

© Jon. D Photographie.
Texte : Laurent Gaudé
Mise en scène : Alexandre Tchobanoff.
Assistante mise en scène : Prisca Lona.
Avec : Arnaud Carbonnier, Prisca Lona, Olivier Hamel.
Durée : 1 h 05.

Du 5 décembre 2021 au 20 février 2022.
Dimanche à 19 h, lundi à 21 h.
Studio Hébertot, Paris 17e, 01 42 93 13 04.
>> studiohebertot.com

Isabelle Lauriou
Mardi 21 Décembre 2021
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