Théâtre

C'est swing, c'est binaire... c'est le rock'n roll de Molière !

"Les Précieuses Ridicules", Le Lucernaire, Paris

[Reprise.] Il fallait l'impétuosité et la folie créatrice d'une jeune compagnie pour se lancer dans une adaptation "rock'n roll" d'une comédie de Molière. Tant de metteurs en scène* se sont risqués à transposer les grands classiques sans toujours rencontrer la réussite que l'initiative de la toute jeune Cie La Savaneskise de proposer cette version rock des "Précieuses ridicules" paraissait encore plus audacieuse.



© Compagnie La Savaneskise
Cette farce que Molière écrivit et représenta en 1659 (son premier succès) fut la première d'une longue série que le "protégé" du roi consacrera aux excès et aux travers de ses contemporains. Ici, c'est la mode et ses maux, les jeux d'esprit et leurs outrances qui sont l'objet de ses flèches assassines... Ceux-ci devenant très vite affectation et jargon empesé, ridicule si poussés à l'extrême... C'est dans le propos même de la caricature - que génère l'excès – que la compagnie et sa jeune metteuse en scène, Pénélope Lucbert, ont puisé la moelle de "l'actualisation" (et son côté excessif)... rythmée en mode binaire. Cette mise en exergue de la folie du superficiel que l'on retrouve, ô combien, présente encore aujourd'hui, colle parfaitement à un traitement dynamique, parfois endiablé et séquencé par de chaleureux riffs électriques. Le verbe et le phrasé propre à Molière se glisse alors sans aucun anachronisme sur une situation où deux provinciales fraichement arrivées "à la capitale" se rêvent déjà en jeunes filles "branchouilles" fréquentant plus les nuits parisiennes ambiance strass et paillettes que les rendez-vous littéraires de la Sorbonne.

© Compagnie La Savaneskise
Si le départ de la pièce pouvait laisser présager quelques difficultés "de mise en route" (mise en bouche ?) dû à une diction un peu empesé et à une légère lenteur à démarrer la farce en version "spitfire", l'inquiétude fut brève. Dès l'entrée en scène de nos deux héroïnes, Magdelon et Cathos, (remarquablement interprétées par Ariane Brousse et Justine Paillot), on comprend très vite que la machine est lancée, que le swing binaire va nous emporter et nous faire oublier que cela a été écrit au XVIIe siècle. Ce sont véritablement Ariane Brousse et Justine Paillot qui donne le "la" pour entamer cette partition en 4/2... embarquant, grâce à des répliques décochées avec beaucoup de vivacité, Damien Zanoly (Mascarille) et Jean-Philippe Morin (Jodelet) dans des passes de danse rock soutenues. Cela tout en gardant une diction irréprochable. Le verbe est bien maîtrisé, les échanges s'enchaînent et se maintiennent sur un rythme endiablé, régulièrement soutenus par la musique en direct distillée par Oscar Clark et sa guitare. Le jeu de chacun et la mise en scène de Pénélope Lucbert est à l'avenant, déroulant sans coup férir, grâce à une mécanique burlesque que l'on sent déjà bien huilée, l'histoire de nos deux précieuses embarquées dans cette farce qui se fera vite à leurs dépens. La réussite de ce spectacle tient autant dans une mise en scène rigoureuse, mais énergique, que dans une direction d'acteurs mettant en valeur chacun des personnages, et en leur procurant de petites plages d'improvisation. Du coup, on sent une réelle complicité entre les comédiens, un enthousiasme de jeu très communicatif, et beaucoup de générosité. Le pari était grand et hautement risqué mais la réussite est d'autant plus à la hauteur !

* Parmi quelques anciennes mémorables réussites : "Tréteaux des Ménestrels" (deux spectacles pour le prix d'un : "Hamlet" et "Le Malade imaginaire") par Royal de Luxe, "Georges Dandin" et "Amphitryon" mis en scène par François Rancillac, "Le malade imaginaire" par Jean-Luc Lagarce, "Le Tartuffe" par Stanislas Nordey.

"Les Précieuses Ridicules"

© Compagnie La Savaneskise
(Vu le 26 janvier 2011)

Texte : Molière.
Mise en scène : Pénélope Lucbert.
Avec : Régis Bocquet, Ariane Brousse, Barbara Gauvain, Jeanne Gogny, Aude Macé, Déborah Marique, Marion Lo Monaco, Denis Morin, Edouard Michelon, Justine Paillot, Cédric Révillion, Walter Stawinoga, Damien Vigouroux, Damien Zanoly.
Musique (en live) : Oscar Clark.
Lumière : Pierre Blostin.
Durée : 1 h 10.
Par la Cie La Savaneskise.

Du 4 juillet au 15 septembre 2012.
Du mardi au dimanche à 18 h 30.
Théâtre Le Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Le spectacle a été joué initialement à l’Aktéon Théâtre en 2010, puis au Théâtre du Marais, du 4 janvier au 30 mars 2011.

Gil Chauveau
Mercredi 20 Juin 2012
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