Trib'Une

Briser le tabou... pour avancer et se reconstruire

La chronique d'Isa-belle L

"Il y a un spectacle Isabelle que tu devrais aller voir au Lucernaire. Le titre, c’est : Tabou. C’est mis en scène et écrit par Laurence Février. Je ne peux que t’inciter à y aller."



© Margot Simonney.
Voilà ce qui m’a été dit, voilà qui est fait. J’y suis allée. Mercredi 19 septembre, écouter et voir le travail de Laurence Février. Un spectacle "rondement" mené.

Tabou

Spontanément j’ai pensé au jeu de Société du même nom qui se prononce de la même façon aussi. Jeu auquel j’ai dû jouer deux fois dans ma vie. C’est dire à quel point mes soirées entre amis sont réussies. Inutile de se coltiner ce type de connerie. L’objectif de "Taboo", avec deux "o", et non un "o" et un "u", c’est de faire deviner un mot sans prononcer des mots "tabous", c’est-à-dire ne pas citer de mot se rapprochant trop près de celui qu’on cherche.

Un enfant de dix ans comprendra. Il aura peut-être demandé à sa maman ce que signifie le mot tabou dans la vie des grands et sa maman lui aura probablement répondu : "T’es trop petit" ! Et qui sait ? En rougissant.

Tabou "Ou ou ouh", ça fait peur, décidément ! Surtout aux parents.

Je reprends le cours de mon explication maintenant. Un exemple pour bien comprendre le jeu de société. Tabou jeu de société ? Ça se saurait.

Bref ! Nous sommes cinq participants. Jeu collectif, c’est plus marrant. Enfin, ça dépend à quoi on associe l’adjectif. Évidemment.

Laurence Février © Margot Simonney.
Un de nos coéquipiers tire le mot : Viol. Qui en réalité n’existe pas dans le jeu de Société puisque c’est un mot Tabou, comprenez-vous ? Je reprends. Il a une ou deux minutes, temps s’écoulant du sablier - objet limitant les tours de jeu.

L’objectif de notre camarade est donc de nous faire deviner le mot viol sans jamais prononcer, par exemple :
- Agression sexuelle, bâillonner, femme, violence, tournante…
Le sablier va rendre l’âme. Encore quelques secondes pour trouver. Allez !
- Aguicheuse, résille, mini-jupe ;
Personne ne voit. Encore un coup, pour voir :
- Cité, fille, vulgaire ;
Personne ne trouve.

Ce que c’est drôle bon sang ! On y prend goût à ce jeu. C’est marrant de biaiser. C’est le mot. Biaiser la vérité. Donner des indices complétement décalés.

Langue au chat. Perdu !

© Margot Simonney.
Le jeu s’arrête. Violer, avec ce qu’elle nous a laissé comme indices c’était foutu d’avance. Quelle idée ! Tous ces mots déballés n’ont aucun rapport avec la réalité.

Résultat : On se prend la tête, on se lance des vannes, le collectif s’individualise. On se rentre dedans. On se parle mal.

Foutu jeu ! C’était facile pourtant :
- Déshabiller, forcer, frapper, démolir. Souiller, marteler, harceler, mutiler. Crier.

Foutu jeu ! Je dis. Ignorer à ce point un fléau de notre société. Dans un jeu qui prétend en parler ! Tabou délie les langues finalement. Après la tempête de reproches, pointe enfin l’accalmie. Retour à la vie.

Tabou, rien du tout, oui.

Violer, c’est avoir agressé sexuellement une femme le plus souvent après l’avoir bâillonnée dans la majorité des cas, l’avoir forcée violemment.

"Non c’est non ce n’est pas oui." Gisèle Halimi l’a répété. C’était en 1978. Lors de son immense, avec un grand I, plaidoirie.

Violer, c’est ordonner à autrui l’acte sexuel. Blesser. Anéantir la féminité. Briser la confiance pour toutes les années à venir. Violer, c’est interrompre injustement la vie.
Résister, c’est vouloir vivre. Briser le tabou, c’est avancer et se reconstruire.

Nous ne sommes plus en 1978 mais en 2012. Des chaises rouges, des visages de femmes d’âges différents. Je suis au théâtre. Il fait noir. J’attends qu’elles me disent, qu’elles racontent.

Le spectacle que j’ai vu hier soir, comme le jeu, s’appelle Tabou. Mais s’écrit O et U. C’est un fait de société dont on parle mais jamais assez. Un fait de société qui n’est pas un jeu, en effet. Difficile d’imaginer l’horreur que ces femmes, dont les histoires au théâtre nous sont contées, ont endurée.

Difficile aussi d’imaginer que, pendant toute la durée de ce spectacle d’une rare intensité, un couple de quarantenaire n’ait pu s’empêcher de se rouler des pelles et de se caresser. À croire que le viol fait encore fantasmer…

Tabou, au Lucernaire. Mon amie a bien fait de m’inciter à y aller.

"Tabou"

Spectacle de Laurence Février.
Avec la plaidoirie de Gisèle Halimi à la Cour d'Assises d'Aix-en-Provence le 3 mai 1978.
Mise en scène : Laurence Février.
Assistante : Julie Simonney.
Avec : Véronique Ataly, Mia Delmaë, Laurence Février, Françoise Huguet, Carine Piazzi, Anne-Lise Sabouret.
Lumières : Jean-Yves Courcoux.
Illustration sonore et scénographie : Brigitte Dujardin.
Durée : 1 h 05.

Spectacle du 5 septembre au 21 octobre 2012.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 17 h.
Théâtre Le Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Isabelle Lauriou
Lundi 24 Septembre 2012
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