Danse

"Bhopal blue"… Inde, entre danse et douleurs

"Bhopal Blue", Théâtre du Soleil, Paris

C’est autour de la catastrophe de Bhopal en 1984 que Brigitte Chataignier a créé son spectacle. À l’aide du théâtre, du Kathakali, du Kalarippayatt et du Mohiniattam, l’art et la culture de l’Inde nous replongent dans ce drame qui avait tué plusieurs milliers de personnes.



© Compagnie Prana.
C’est l’histoire d’un drame humain, écologique, industriel qui frappa l’Inde un 3 décembre 1984. Une usine filiale d'Union Carbide produisant des pesticides explose. Le bilan officiel fait état de plus de trois mille cinq cents morts. L’association des victimes en compte entre vingt et vingt-cinq mille. Une chose est certaine, c'est que l’exposition a engendré aussi des victimes de la radioactivité aux malformations nombreuses ou aux décès "précoces".

C’est autour de ce drame, qui a marqué l’Inde et par ricochet l’Occident à une époque où l’écologie industrielle était encore une hérésie, que Brigitte Chataignier a choisi de "raconter".

Le spectacle est autant théâtral que "dansé". La voix du comédien Jean-François Dusigne incarne celle d’un peuple, abandonné à sa tragédie. Son jeu est surtout vocal, même si les "pérégrinations" physiques sur scène ont leur importance. D’ailleurs, la scène symbolise la mort et la vie, le recueillement et la souffrance, la colère et le silence. Elle est ce lieu de déplacements et de migrations symbolisés par la danse ; et de douleur par le théâtre. Voix et gestuelle se mêlent pour exprimer, sous deux formes différentes, une détresse humaine.

© Compagnie Prana.
La scène est ce lieu où la danse s’immisce pour "porter" les corps, les exprimer autour du mohiniattam (1), dans laquelle Brigitte Chataignier s’est grandement inspirée pour créer une gestuelle aérienne avec des membres supérieurs gracieux toujours frontaux, légèrement arrondis, où le temps semble quelque peu s’être arrêté. Comme pour faire place au silence, au recueillement, à la méditation. Son maintien du tronc est droit, contrebalancé par un mouvement courbe des bras donnant au corps une élasticité certaine.

La danse de Djeya Lestrehan est, à l’opposé, théâtrale et se rattache au kathakali (2) par les impulsions des talons et de la plante des pieds et par le kalarippayatt (3) par ses figures théâtrales. Elle fait des déplacements où tronc et membres basculent d’une position à une autre. Des arrêts sont aussi effectués comme pour asseoir le corps dans une attitude "terrienne" avec les jambes bien axés au sol. C’est aussi une figure où plantes des pieds et talons sont utilisés de façon rythmée. À la différence de la danse de Brigitte Chataignier, sauf quand elles se rejoignent au final, elle est beaucoup plus corporelle dans son approche au sol et au plateau.

© Compagnie Prana.
La musique et le chant, interprétés par Carol Robinson, accompagnent les chorégraphies. Elle chante, joue du saxophone et des percussions. Musique et chant sont également les axes artistiques du spectacle tout aussi important que la danse et le théâtre. C’est autour d’eux que le lien se fait, tissant la souffrance exprimée théâtralement autour de l’expression tragique dansée. La chorégraphie interprétée par Djeya Lestrehan est en relation direct avec le jeu de Dusigne. Comme une sorte de passerelle entre son expression corporelle et l’oralité du comédien. La danse se fait théâtre quand le théâtre fait écho à la danse.

Les chorégraphies, surtout celles incarnées par Brigitte Chataignier, "rééquilibrent" la souffrance d’un peuple, comme un rappel à la vie alors que la voix de Jean-François Dusigne semble provenir d’outre-tombe, incarnant les morts. C’est dans cet entre-deux artistique, entre une expressivité corporelle et vocale, que la souffrance d’un peuple s’immisce pour ne pas être oublié.

(1) Danse sacrée pratiquée au sud-ouest de l’Inde.
(2) Forme de théâtre dansé originaire de Kerala, en Inde du Sud.
(3) Art martial originaire de Kerala, en Inde du Sud.

"Bhopal Blue"

Une création de Brigitte Chataignier
Chorégraphie, danse : Brigitte Chataignier.
Danse : Djeya Lestréhan.
Texte : Zéno Bianu.
Jeu : Jean-François Dusigne.
Musique : Carol Robinson (cor de basset, voix et électronique).
Scénographie : Philippe Lacroix.
Lumière : Sylvie Garot.
Compagnie Prana.
Durée : 1 h 10.

Du 18 novembre au 4 décembre 2016.
Jeudi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30.
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 98 20 61.
>> theatre-du-soleil.fr

Safidin Alouache
Vendredi 25 Novembre 2016
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