© Marc Domage.
Recomposant au gré de leurs fantaisies créatives les grands moments de cette histoire théâtrale unique en son genre, les comédiens les donnent à voir et à entendre sans artifice aucun. Le corps des acteurs, rien que le corps parlant pour traverser quelque quatre-vingts années d'un magma bouillonnant à porter au crédit des directeurs du festival, actrices, acteurs, techniciennes, techniciens du spectacle, spectatrices, spectateurs, tout ce monde confondu dans ce qui constitue Avignon et participe à l'écriture de son histoire.
Opposant au "Je me souviens" teinté d'une douce nostalgie de Georges Pérec, la parole performative des corps toniques des jeunes comédiens, Fanny de Chaillé compose un pétillant cocktail, relevé de touches d'humour assumé – frôlant parfois une impertinence de bon ton vis-à-vis des illustres aînés désacralisés – où les éclats de la mémoire sélective recomposent comme dans un kaléidoscope géant un paysage… celui d'Avignon revisité à l'aune des regards singuliers de ces jeunes gens fous de théâtre.
Tout commencera par un extrait d'"Einstein on the Beach", donné à l'Opéra d'Avignon en 1976, où deux des comédiennes rejoueront avec application la musique de Philip Glass mise en scène par Robert Wilson en énonçant inlassablement en boucle one, two, three… eight, avant d'être rejointes par leurs complices constituant le chœur. La mélodie lancinante opèrera d'emblée comme un charme, ouvrant "la voix" aux tableaux se précipitant à un rythme soutenu. Les plus avertis des spectateurs auront alors le plaisir de repérer dans ce flux incessant quelques scènes mémorables, les novices savoureront celui de les découvrir interprétées par des talents en devenir (cf. distribution en fin d'article).
Opposant au "Je me souviens" teinté d'une douce nostalgie de Georges Pérec, la parole performative des corps toniques des jeunes comédiens, Fanny de Chaillé compose un pétillant cocktail, relevé de touches d'humour assumé – frôlant parfois une impertinence de bon ton vis-à-vis des illustres aînés désacralisés – où les éclats de la mémoire sélective recomposent comme dans un kaléidoscope géant un paysage… celui d'Avignon revisité à l'aune des regards singuliers de ces jeunes gens fous de théâtre.
Tout commencera par un extrait d'"Einstein on the Beach", donné à l'Opéra d'Avignon en 1976, où deux des comédiennes rejoueront avec application la musique de Philip Glass mise en scène par Robert Wilson en énonçant inlassablement en boucle one, two, three… eight, avant d'être rejointes par leurs complices constituant le chœur. La mélodie lancinante opèrera d'emblée comme un charme, ouvrant "la voix" aux tableaux se précipitant à un rythme soutenu. Les plus avertis des spectateurs auront alors le plaisir de repérer dans ce flux incessant quelques scènes mémorables, les novices savoureront celui de les découvrir interprétées par des talents en devenir (cf. distribution en fin d'article).
© Marc Domage.
Quant aux jeunes talents d'antan, avant de devenir ces figures de proue du théâtre, ils avaient pour nom, fallait-il le rappeler, Jean Négroni, Germaine Montero, Alain Cuny, Michel Bouquet, Silvia Monfort, Jeanne Moreau, Daniel Sorano, Maria Casarès, Philippe Noiret, Monique Chaumette, Jean Le Poulain, Charles Denner, Jean Deschamps, Georges Wilson et… Gérard Philipe. Leur challenge était, si étonnant cela puisse paraître à des comédiens contemporains, d'avoir pour la première fois à jouer… en plein air, sous le ciel d'Avignon !
Une jeune comédienne ouvrira le feu en se coulant avec un plaisir palpable dans le corps de son aînée (Silvia Montfort), épousant le phrasé de cette pionnière du théâtre (national) populaire. Avec aplomb et une distanciation jouissive, elle dévidera d'une voix rauque les confidences de l'actrice ayant massacré son texte le jour de la première. Comme quoi le talent à venir n'est pas antinomique de ratés magistraux.
"Le Prince de Hombourg", dans une mise en scène de Jean Vilar, renaîtra de ses cendres. Sa couronne (figurée par les deux doigts écartés de chaque main) sera solennellement déposée sur le front princier du comédien jouant Gérard Philipe. Ainsi du "Cid" où l'on retrouvera l'acteur adulé, le problème étant que les jeunes artistes se disputeront vivement le rôle-titre, chacun prétendant qu'il lui revient… L'occasion de rappeler la formidable aura populaire de ce héros romantique, donnant lieu à des anecdotes personnelles rappelant qu'un acteur est une personne comme les autres, dotée d'un ego, et que la rivalité… fait partie du jeu.
Maria Casarès, incarnant Lady Macbeth de Shakespeare, mise en scène par Jean Vilar dans la Cour d'Honneur, sera non sans malice campée au travers du geste mythique des avant-bras frottés et refrottés à l'excès pour tenter de faire disparaître le sang de l'infamie. Tandis que "Richard II" donnera lieu au témoignage émouvant d'un jeune homme de milieu populaire, racontant l'éblouissement qui fut le sien pour son certificat d'études de découvrir le théâtre dans le lieu prestigieux du Palais des Papes. Il enchainera en disant comment l'accès à la Cour d'Honneur pour découvrir ensuite "Le Prince de Hombourg", puis "Le Cid", a changé sa vie et celle de sa famille tenue jusque-là à l'écart des manifestations culturelles faites pour d'autres qu'eux. Comme un hymne vibrant adressé en direct à Jean Vilar.
Un tableau vivant présentera les acteurs étendus au sol et Maria Casarès, debout au milieu d'eux, dans le rôle d'une Médée hystérique hurlant face au corps de son frère désarticulé jeté à la mer par ses bons soins. Les comédiens se relèveront alors pour offrir, sur une musique d'enfer, une chorégraphie hip-hop "désarticulée" où une comédienne hurlera à son tour sa difficulté à suivre le rythme… réconfortée aussitôt par ses pairs lui assurant que "l'essentiel est de croire au collectif".
Une jeune comédienne ouvrira le feu en se coulant avec un plaisir palpable dans le corps de son aînée (Silvia Montfort), épousant le phrasé de cette pionnière du théâtre (national) populaire. Avec aplomb et une distanciation jouissive, elle dévidera d'une voix rauque les confidences de l'actrice ayant massacré son texte le jour de la première. Comme quoi le talent à venir n'est pas antinomique de ratés magistraux.
"Le Prince de Hombourg", dans une mise en scène de Jean Vilar, renaîtra de ses cendres. Sa couronne (figurée par les deux doigts écartés de chaque main) sera solennellement déposée sur le front princier du comédien jouant Gérard Philipe. Ainsi du "Cid" où l'on retrouvera l'acteur adulé, le problème étant que les jeunes artistes se disputeront vivement le rôle-titre, chacun prétendant qu'il lui revient… L'occasion de rappeler la formidable aura populaire de ce héros romantique, donnant lieu à des anecdotes personnelles rappelant qu'un acteur est une personne comme les autres, dotée d'un ego, et que la rivalité… fait partie du jeu.
Maria Casarès, incarnant Lady Macbeth de Shakespeare, mise en scène par Jean Vilar dans la Cour d'Honneur, sera non sans malice campée au travers du geste mythique des avant-bras frottés et refrottés à l'excès pour tenter de faire disparaître le sang de l'infamie. Tandis que "Richard II" donnera lieu au témoignage émouvant d'un jeune homme de milieu populaire, racontant l'éblouissement qui fut le sien pour son certificat d'études de découvrir le théâtre dans le lieu prestigieux du Palais des Papes. Il enchainera en disant comment l'accès à la Cour d'Honneur pour découvrir ensuite "Le Prince de Hombourg", puis "Le Cid", a changé sa vie et celle de sa famille tenue jusque-là à l'écart des manifestations culturelles faites pour d'autres qu'eux. Comme un hymne vibrant adressé en direct à Jean Vilar.
Un tableau vivant présentera les acteurs étendus au sol et Maria Casarès, debout au milieu d'eux, dans le rôle d'une Médée hystérique hurlant face au corps de son frère désarticulé jeté à la mer par ses bons soins. Les comédiens se relèveront alors pour offrir, sur une musique d'enfer, une chorégraphie hip-hop "désarticulée" où une comédienne hurlera à son tour sa difficulté à suivre le rythme… réconfortée aussitôt par ses pairs lui assurant que "l'essentiel est de croire au collectif".
© Marc Domage.
Jean-Luc Godard et la pensée marxiste-léniniste de "La Chinoise" de 1967 feront irruption. D'autres tableaux foisonnant de créativité ludique se succéderont, aux rangs desquels "Messe pour le temps présent" de Maurice Béjart, la pantomime de "La Création du Monde" du Prince du Silence Marcel Marceau et l'immanquable "Soulier de Satin" d'Antoine Vitez.
Il sera aussi question de la 57e édition du Festival – annulée en 2003, première annulation de l'histoire du festival suite à la grève des intermittents du spectacle défendant mordicus leur statut. Les comédiens se feront alors les porte-voix des débats animés opposant ceux qui voulaient jouer "à tout prix" et ceux qui considéraient que si l'on se contentait de lire un texte de protestation avant de monter sagement sur scène, c'était annoncer leur mort.
Mais "l'événement", en 1968 – et ce soir idem – sera sans nul doute "Paradise Now" du Living Theatre de Julian Beck et Judith Malina, promouvant dans les actes un autre rapport à la création, l'acteur et son engagement corporel devenant noyau du réacteur créatif. Quant à la place du spectateur, elle en sera radicalement modifiée : de simple regardant qu'il était, il devient actant à part entière… Ainsi, les comédiens déserteront leur zone de confort – ici le plateau nu du tnba – pour rejoindre les spectateurs. Ils se dénuderont, s'enlaceront, feront mine de se chevaucher, invectiveront le poing en l'air, multiplieront les gestes libertaires… rejouant jusqu'à plus soif le "scandale" ayant défrayé la chronique de l'époque.
Il sera aussi question de la 57e édition du Festival – annulée en 2003, première annulation de l'histoire du festival suite à la grève des intermittents du spectacle défendant mordicus leur statut. Les comédiens se feront alors les porte-voix des débats animés opposant ceux qui voulaient jouer "à tout prix" et ceux qui considéraient que si l'on se contentait de lire un texte de protestation avant de monter sagement sur scène, c'était annoncer leur mort.
Mais "l'événement", en 1968 – et ce soir idem – sera sans nul doute "Paradise Now" du Living Theatre de Julian Beck et Judith Malina, promouvant dans les actes un autre rapport à la création, l'acteur et son engagement corporel devenant noyau du réacteur créatif. Quant à la place du spectateur, elle en sera radicalement modifiée : de simple regardant qu'il était, il devient actant à part entière… Ainsi, les comédiens déserteront leur zone de confort – ici le plateau nu du tnba – pour rejoindre les spectateurs. Ils se dénuderont, s'enlaceront, feront mine de se chevaucher, invectiveront le poing en l'air, multiplieront les gestes libertaires… rejouant jusqu'à plus soif le "scandale" ayant défrayé la chronique de l'époque.
© Marc Domage.
Et point d'orgue, ne pas omettre dans le même temps de rendre justice à Jean Vilar qui, même si cette séquence était manifestement en décalage avec l'esprit du TNP, n'était pour rien dans l'intervention policière dont on l'accusait d'être à l'initiative. Elle émanait d'un ordre du préfet, frappant d'interdit le Living Theatre pour "désordre public" et reconduit, sous escorte policière, à la frontière dès le lendemain de l'unique représentation.
Plus proche de nous, en juillet 2023, un autre "scandale" est réactivé. Celui déclenché par "Carte noire nommée désir" de Rebecca Chatillon faisant exploser "en plein vol" les digues des prérogatives que s'accordent les blancs sur les biens et les corps des noir(e)s. Entourée de performeuses afro-descendantes, la performeuse metteuse en scène et ses complices étaient montées dans les gradins pour "emprunter" les sacs des spectateurs, faisant vivre en direct "les bienfaits de la colonisation"… Fusèrent alors des protestations véhémentes accompagnées de commentaires chers aux identitaires : "On est chez nous !"… Et les jeunes comédiens, en guise de chute, de s'emparer de cette réflexion excrémentielle en commentant ironiquement : "Avignon, un temple de la culture française…".
Plus proche de nous, en juillet 2023, un autre "scandale" est réactivé. Celui déclenché par "Carte noire nommée désir" de Rebecca Chatillon faisant exploser "en plein vol" les digues des prérogatives que s'accordent les blancs sur les biens et les corps des noir(e)s. Entourée de performeuses afro-descendantes, la performeuse metteuse en scène et ses complices étaient montées dans les gradins pour "emprunter" les sacs des spectateurs, faisant vivre en direct "les bienfaits de la colonisation"… Fusèrent alors des protestations véhémentes accompagnées de commentaires chers aux identitaires : "On est chez nous !"… Et les jeunes comédiens, en guise de chute, de s'emparer de cette réflexion excrémentielle en commentant ironiquement : "Avignon, un temple de la culture française…".
© Marc Domage.
Dotés d'un bel humour ravageur (cf. le tableau inénarrable sur la peur régnant en Avignon, "La Mecque du Théâtre", suscitée par l'angoisse du "Grand remplacement"… suisse !), ces jeunes comédiens et comédiennes venus(es) de Lausanne rivalisent de savoir-être artistique pour arpenter avec grand bonheur l'histoire fabuleuse de ce Festival. Se saisissant des archives collectées par leur metteuse en scène – Fanny de Chaillé, initiatrice de cette proposition originale méritant à son tour une place dans les archives du Festival –, ils excellent de professionnalisme ardent… Un moment théâtral des plus réjouissants, redonnant des couleurs vives à une création artistique très souvent mise en péril par la politique de régression culturelle "en marche".
◙ Yves Kafka
Vu le mardi 30 septembre 2025, Grande Salle Vitez du tnba (Théâtre national Bordeaux Aquitaine).
◙ Yves Kafka
Vu le mardi 30 septembre 2025, Grande Salle Vitez du tnba (Théâtre national Bordeaux Aquitaine).
"Avignon, une école"
© Marc Domage.
Conception et mise en scène : Fanny de Chaillé
Avec la Promo M du Bachelor Théâtre de La Manufacture – Haute école des arts de la scène, Lausanne : Martin Bruneau, Luna Desmeules, Mehdi Djouad, Hugo Hamel, Maëlle Héritier, Araksan Laisney, Liona Lutz, Mathilde Lyon, Elisa Oliveira, Adrien Pierre, Dylan Poletti, Pierre Ripoll, Léo Zagagnoni et Margot Viala.
Assistants : Grégoire Monsaingeon et Christophe Ives.
Conception lumières : Willy Cessa.
Conception sonore : Manuel Coursin.
Costumes : Angèle Gaspar.
Régie générale : Emmanuel Bassibé.
Régie son : Amon Mantel.
Collaboration à la copie d'archives : Tomas Gonzalez.
Durée 1h 40.
Représenté du mardi 30 septembre au samedi 4 octobre 2025, au tnba (Théâtre national Bordeaux Aquitaine), dans le cadre du FAB (Festival International des Arts de Bordeaux Métropole).
Tournée
Du 5 au 8 novembre 2025 : Chaillot - Théâtre national de la Danse, Paris 16ᵉ.
Du 13 au 15 novembre 2025 : Maison Saint-Gervais, Genève (Suisse).
Avec la Promo M du Bachelor Théâtre de La Manufacture – Haute école des arts de la scène, Lausanne : Martin Bruneau, Luna Desmeules, Mehdi Djouad, Hugo Hamel, Maëlle Héritier, Araksan Laisney, Liona Lutz, Mathilde Lyon, Elisa Oliveira, Adrien Pierre, Dylan Poletti, Pierre Ripoll, Léo Zagagnoni et Margot Viala.
Assistants : Grégoire Monsaingeon et Christophe Ives.
Conception lumières : Willy Cessa.
Conception sonore : Manuel Coursin.
Costumes : Angèle Gaspar.
Régie générale : Emmanuel Bassibé.
Régie son : Amon Mantel.
Collaboration à la copie d'archives : Tomas Gonzalez.
Durée 1h 40.
Représenté du mardi 30 septembre au samedi 4 octobre 2025, au tnba (Théâtre national Bordeaux Aquitaine), dans le cadre du FAB (Festival International des Arts de Bordeaux Métropole).
Tournée
Du 5 au 8 novembre 2025 : Chaillot - Théâtre national de la Danse, Paris 16ᵉ.
Du 13 au 15 novembre 2025 : Maison Saint-Gervais, Genève (Suisse).