Théâtre

Avignon In 2012 : Son et lumière à programmation informatisée pour vieilles pierres papales

Avignon In 2012, "Le Maître et Marguerite", Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon

Spectaculaire dans la Cour d’honneur, la proposition de Simon McBurney aura fait coup double en début de festival. Elle aura mis en images théâtrales l’œuvre complexe de Mikhaïl Boulgakov et couvert l’intégralité des murs de la Cour d’honneur d’images rétro-projetées.



© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
C’est complètement ouf (en commentaire contemporain) et pourtant, en dépit de son côté spectaculaire (ou peut-être à cause de cela), la mise en scène d’un point de vue strictement dramatique laisse sur sa faim le spectateur et d’une certaine façon s'auto-limite.

Rappelons les termes de l’œuvre qui aurait pu n’être qu’une simple brève de journal : un directeur de revue perd la tête à la suite d’un accident de tramway... son pigiste a les nerfs à vifs.

Dans son contenu, elle épaissit à la fois le mystère de théologie chrétienne et, dans sa forme, se déploie de la Judée de l’antiquité romaine au Moscou des années trente qui se veut moderne. Elle glisse des réalités quotidiennes de la vie citadine rationnelle à celle plastique d’une folle imagination. Car elle suggère, par les conflits de conscience qui agitent les personnages, un parallèle implicite entre le César de l’antiquité et celui jamais nommé qui dirige alors Moscou : Joseph Staline. Qui à Moscou fait du passé table rase, fabrique un homme nouveau et décapite tout ce qui se rattache au passé.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Il ne fait pas bon vouloir évoquer la figure du Crucifié nous dit Boulgakov, fut-ce pour cela vouloir en prouver la non-existence historique.

De cet état de fait naît une succession de scènes diaboliques, des nuits de Walpurgis épouvantables ou follement drôles : c’est selon.

Le lecteur de Boulgakov découvre le monde d’un roman fantastique qui prétend percer la vérité des consciences et de la société par l’entremise d’une figure populaire, celle du diable, et aborde de manière ironique les phénomènes les plus frappants des perceptions sensorielles, du cauchemar et de la maladie mentale.

Dans "Le Maître et Marguerite", le monde, dans lequel s’insèrent les souvenirs du diable amoureux de Jacques Cazotte, des contes d’Hoffmann ou de Gogol tout autant que le Faust de Goethe, s’effondre dans la paranoïa et l’incendie.

La version de Simon McBurney est fidèle d’un point de vue littéral à la chronologie de l’œuvre et la mise en image théâtrale sur la scène fait la part belle aux comédiens. Chaque mouvement d’ensemble est d’une tonicité indéniable.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
De tableaux en tableaux, le jeu est accompagné et amplifié par les technologies de cinéma et de ses effets spéciaux : cela est virtuose.

Mais la caméra omniprésente réduit la liberté de la scène à la contrainte d’un plateau et gêne le développement du jeu strictement théâtral. Celui-ci en dépit de sa qualité est bien trop souvent réduit à un simple support filmique.

La sonorisation équalisée rend la langue intelligible mais réduit la compréhension des modulations et inflexions de la parole et du jeu.

Ainsi ostensible, la machine cybernétique de McBurney réduit à proportion la puissance du deus ex machina (ou plutôt en l’espèce diabolus ex machina). À l’inverse de l’effet du roman qui jette le lecteur dans le trouble, le spectateur est plongé dans une conscience rationnelle. Le spectacle spectaculaire est rassurant et monotone.

La voute étoilée finale (rêve multi-séculaire de tout décorateur) a un rendu impressionnant mais a perdu tout mystère poétique. Elle ne peut entrer en concurrence avec la voie lactée, grande ourse qui domine la cour d’honneur lorsque celle-ci est débarrassée des halos lumineux qui en parasite la vue.

Cette proposition encourt la critique d’avoir fait entrer Avignon (après Lyon et Azay-le-Rideau) dans la catégorie des villes ayant leur son et lumière à programmation informatisée adaptée aux grands sites et vieilles pierres.

Il manque une dimension théâtrale de l'effroi qui déclencherait un rire salvateur.

"Le Maître et Marguerite"

Texte : Mikhaïl Boulgakov.
Mise en scène : Simon McBurney.
Scénographie : Es Devlin.
Avec : David Annen, Thomas Arnold, Josie Daxter, Johannes Flaschberger, Tamzin Griffin, Amanda Hadingue, Richard Katz, Sinéad Matthews, Tim McMullan, Clive Mendus, Yasuyo Mochizuki, Ajay Naidu, Henry Pettigrew, Paul Rhys, Cesar Sarachu, Angus Wright.
Lumière : Paul Anderson.
Son : Gareth Fry.
Costumes : Christina Cunningham.
Vidéo : Finn Ross.
Animation 3D : Luke Halls.
Marionnettes : Blind Summit Theatre.
Production Complicite.
"Le Maître est Marguerite" est disponible en Pavillon Poche chez Robert Laffont.
Durée (estimée) : 3 h 20 (entracte compris).

Avignon In 2012
A été jouée du 7 au 16 juillet 2012 à 22 h,
dans la Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon.

Du 25 a 28 juillet 2012, 20 h 30.
Dans le cadre du GREC 2012 Festival of Barcelona,
Teatre Lliure - Sala Fabià Puigserver,
Passeig de Santa Madrona, 40, Barcelona.
Tél. : + 34 93 316 10 00.
>> Site du festival GREC à Barcelone.

Jean Grapin
Samedi 21 Juillet 2012
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