Lyrique

Avec les "filles" d’Ariane, une mise en scène réussie à l’Opéra de Dijon

Une belle mise en scène de Lilo Baur, pour ce chef d’œuvre réputé redoutable à produire de Paul Dukas, "Ariane et Barbe-Bleue", et des seconds rôles très talentueux ont sauvé la soirée à l’Opéra de Dijon !



© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
Les décors stylisés et les lumières savantes créent l’ambiance onirique du conte sur cette belle scène de l’Auditorium de Dijon - ce magnifique vaisseau dédié à l’opéra et aux concerts. On mesure vite la différence avec la mise en scène de Christoph Marthaler à Paris en 2007 ! Petite frayeur : Laurent Joyeux nous annonce que Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane) et Delphine Haidan (la nourrice) sont malades… mais qu’elles ne sont pas remplacées. Je suis venue pour la grande Isolde (Jeanne-Michèle Charbonnet dans une mise en scène à Genève de Olivier Py), je respire. Pourtant, l’Ariane de Deborah Polaski (de 2007) n’aura pas de rivale, ce soir-là.

En fait très vite, le public s’aperçoit que la pauvre soprano va vivre vocalement une des pires soirées de sa carrière. Mais bon, c’est Isolde. Personnellement, je lui pardonne tout. Les frimas et un froid glacial septentrionaux ont eu raison des cordes vocales de la chanteuse venue de la Côte Ouest des États-Unis. L’orchestre Dijon Bourgogne a en plus du mal à trouver ses marques à l’acte I, sous la baguette de Daniel Kawka. Mais ces girations de violons et ce chatoiement sombre des timbres accompagnant la colère des paysans nous plongent dès l’abord dans l’univers maléfique du poème de Maurice Maeterlinck et Paul Dukas.

© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
Les très beaux costumes de Greta Goiris font penser à l’univers enchanteur très Sécession viennoise de Gustav Klimt. Les trouvailles de la mise en scène sont constantes pour déjouer les difficultés et chausses trappes de ce château symboliste de Barbe-Bleue (séduisant Damien Pass) avec ses sept portes - dont six cachent pierreries et trésors. Ariane, femme libre et courageuse, ne s‘intéresse qu’à la septième, qui conduira aux cinq précédentes épouses, condamnées à mourir dans des souterrains sombres comme un tombeau. Les lumières de Gilles Gentner, comme les panneaux glissants ont un pouvoir de suggestion poétique intense. C’est aussi la révélation que "l’horreur qui veille sur le seuil interdit" n’est qu’un décor justement et peut être affrontée par Ariane.

C’est bien la transposition moderne d’un symbolisme intemporel qu’a réussi la metteure en scène allemande. Quand s’élève le chant sublime des "cinq filles d’Orlamonde", nous frissonnons. C’est gagné : quelle jolie révélation pour le public que ces deux jeunes chanteuses, Carine Séchaye (Sélysette) et Emmanuelle de Negri (Mélisande). La Bellangère de Daphné Touchais ne manque pas de grâce non plus. La mise en scène de l’acte II de cet opéra, illustrant la victoire de la lumière sur la peur du noir, fait irrésistiblement penser aux films muets de Fritz Lang, période allemande et particulièrement à ses "Nibelungen". Jusqu’à la fin de l’acte III, l’orchestre est désormais à la hauteur de cette partition complexe et vraiment symphonique, tressant ses ensorcellements mélodiques et sa magie harmonique.

© Gilles Abegg/Opéra de Dijon.
Avec la musique, les quarante membres du chœur et les soixante-dix sept musiciens semblent commenter l’évolution des personnages. Ariane partira seule du château, laissant ses "sœurs" et son époux anéanti à leur prison mentale. Pourtant ce sont bien les "cinq filles d’Orlamonde" qui nous ont délivrés le temps d’une soirée de notre prosaïque quotidien.

Opéra entendu le 7 décembre 2012.

"Ariane et Barbe-Bleue ou la Délivrance inutile".
Conte en trois actes en français (1907) de Paul Dukas.
Livret de Maurice Maeterlinck (1899).

Mise en scène : Lilo Baur.
Assistantes à la mise en scène : Mary Lousi, Claudia de Serpa Soares.
Scénographie : Sabine Theunissen.
Costumes : Greta Goiris.
Lumières : Gilles Gentner.

Distribution :
Jeanne-Michèle Charbonnet, Ariane.
Damien Pass, Barbe-Bleue.
Delphine Haidan, la nourrice.
Carine Séchaye, Sélysette.
Gaëlle Méchaly, Ygraine.
Emmanuelle de Negri, Mélisande.
Daphné Touchais, Bellangère.
Erifili Stefanidou, Alladine.
François Echassoux, le vieux paysan.
Jean Fischer, le deuxième paysan.
Jocelyn Desmares, le troisième paysan.

Orchestre Dijon Bourgogne.
Direction : Daniel Kawka.
Chœur de l’Opéra de Dijon.
Chef de chœur : Mihály Zeke.

Christine Ducq
Mardi 18 Décembre 2012
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