Théâtre

Au-delà des ténèbres… en famille et en guerre

"Le Dernier Jour du jeûne" et "L'Envol des cigognes", Théâtre du Soleil, Paris

Simon Abkarian revient au théâtre du Soleil dans un superbe diptyque qui raconte l'histoire d'une famille face à l'exil et à la guerre. Dans cette galerie de situations, vient affleurer tout un spectre émotionnel où se rencontrent pulsions de vie et de mort dans un combat de tous les instants.



© Antoine Agoudjian.
C'est un diptyque qui s'est construit à partir du premier texte de Simon Abkarian "Pénélope, ô Pénélope" (2008). "Le Dernier Jour du jeûne" et "L'Envol des cigognes" raconte l'histoire d'une famille ballotée entre lieux de combat et exil. Elles peuvent être toutefois indépendantes l'une de l'autre. Bien que, à peu de chose près, les personnages soient identiques, la tonalité dramaturgique est différente. "Le Dernier Jour du jeûne" est à l'aube ce que "L'Envol des cigognes" est au crépuscule.

La première pièce est superbe dans son imbrication de sentiments, d'émotion où le comique, les colères et les rires se succèdent. Le drame n'est jamais très loin. La seconde est beaucoup plus sombre, avec son lot de bombardements, d'exactions, de crimes et la sempiternelle barbe de l'extrémiste religieux. À quand un comédien jouant un terroriste rasé de près sur une scène ?

Les personnages sont l'incarnation des émotions qui les portent alors que dans "Le Dernier Jour du jeûne", ils sont un caractère, une personnalité. La femme dévorant les livres dans celle-ci (état de lectrice avertie) devient presque une fée dans "L'Envol des cigognes" (symbolisant la légèreté émotionnelle d'une présence, d'un être).

© Antoine Agoudjian.
Autant dans la première pièce, la vie est proche et le drame jamais très loin, autant dans la seconde, la mort est toujours à proximité. Tout est violence et souffrance dans celle-ci. Même les joies sont claquemurées dans des gémissements continuels avec son wagon d'engueulades.

La dernière scène de "L'Envol des cigognes" est symptomatique de l'écriture de celle-ci où se déroulent des mariages avec son lot d'altercations familiales. Les bombes explosent à deux pas de la maison alors que deux couples d'amoureux se lient. La mort est très proche dans l'exil, la draguant même alors qu'elle était présente dans le quartier même où vivait la famille. Comme si cette dernière vivait envers et contre tout.

Les acteurs jouent sur une grande échelle d'émotions avec des rôles très marqués. Il y a, entre autres, une amie-philosophe un peu folle (Catherine Schaub), un mari absent au début, très présent ensuite (Simon Abkarian), une mère inquiète et possessive (Ariane Ascaride) et le gendre bagarreur (Assaâd Bouab), le voisin épicier calme mais sachant manier le poing. La figure du père, du gendre, des filles, de la mère sont presque typiques. Ce qui l'est moins sont les différents travers qui les amènent d'une rive à l'autre autour de rapports frontaux, violents parfois dans la sphère familiale ou au milieu de zones de belligérance.

Nous sommes dans un univers à plusieurs niveaux émotionnels où l'amour filial se rattache à celui des amours et de l'ouverture contre la guerre et la haine. "Le Dernier Jour du jeûne" est à l'inverse de "L'Envol des cigognes". Le premier est nourri d'humour pointant le drame, le second est tragique avec des pointes d'humour.

© Antoine Agoudjian.
Les protagonistes ont des rapports frontaux entre eux. Les idées aussi. L'ouverture face à l'extrémisme, l'humanité face aux exactions, la modernité face à la tradition, la vie face à la mort, Éros face à Thanatos. C'est très bien écrit avec des répliques mordantes tout en étant pleines de poésie, même si certaines manque un peu de souffle théâtral car trop littéraires.

La mise en scène est très bien léchée, servie par la musique de Pink Floyd, Jimi Hendrix ou Orientale. C'est à l'image de ce big-bang émotionnel où l'engueulade succède au rire, l'humour à la tristesse, le viol au mariage. Des univers se croisent, comme ces décors qui changent à tour de scène pour planter un autre contexte à chaque fois.

Le jeu physique est omniprésent avec des voix qui portent au loin. Peu de demi-mesure dans les octaves, les personnages sont entiers dans leurs propos. Cela rit, cela gueule, on se violente, on s'embrasse, on se marie. Ce sont des moments d'exil et de guerre, avec ses extrêmes, qui se retrouvent confinées dans le creuset de cette famille où s'agrège un cocktail de rencontres et d'épreuves. Nous sommes à un carrefour où une ligne de vie est coupée par une ligne de mort, où l'un empiète sur l'autre sans qu'aucun feu de signalisation ne régule les événements.

C'est beau de beaucoup de présence dans une mise en scène très bien articulée dans son rythme et son tempo où chaque caractère, chaque émotion, chaque sentiment existent face au tragique. Bref, Simon Abkarian a parié avec talent sur Éros contre Thanatos.

"Le Dernier Jour du jeûne" - "L'Envol des cigognes"

© Antoine Agoudjian.
Une tragi-comédie de quartier en diptyque de Simon Abkarian.

"Le Dernier Jour du jeûne"
Écriture et mise en scène : Simon Abkarian.
Collaboration artistique : Pierre Ziadé.
Avec : Simon Abkarian, Ariane Ascaride, David Ayala, Assaâd Bouab, Pauline Caupenne, Délia Espinat Dief, Marie Fabre, Océane Mozas, Chloé Réjon, Catherine Schaub-Abkarian , Igor Skreblin.
Lumière : Jean-Michel Bauer.
Son et Vidéo : Olivier Renet.
Décor : Noëlle Ginefri-Corbel.
Régie Générale : Pierre-Yves Froehlich.
Régie plateau : Laurent Clauwaert.
Accessoires : Philippe Jasko.
Costumes : Anne-Marie Giacalone.
Régie : Maral Abkarian.
Danse : Philippe Ducou.
Durée du spectacle : 2 h 30.

"L'Envol des cigognes"
Écriture et mise en scène : Simon Abkarian.
Collaboration artistique : Pierre Ziadé.
Avec : Simon Abkarian, Maral Abkarian, Ariane Ascaride, Serge Avédikian, Assaâd Bouab, Pauline Caupenne, Laurent Clauwaert, Délia Espinat Dief, Marie Fabre, Victor Fradet, Eric Leconte, Eliot Maurel, Océane Mozas, Chloé Réjon, Catherine Schaub-Abkarian , Igor Skreblin.
Lumière : Jean-Michel Bauer.
Son et Vidéo : Olivier Renet.
Décor : Noëlle Ginefri-Corbel.
Régie Générale : Pierre-Yves Froehlich.
Régie plateau : Laurent Clauwaert.
Accessoires : Philippe Jasko.
Costumes : Anne-Marie Giacalone.
Régie : Maral Abkarian.
Danse : Philippe Ducou.
Durée du spectacle : 3 h 30.

Du 5 septembre au 14 octobre 2018.
Du mercredi au vendredi à 19 h 30, en alternance.
"Le Dernier Jour du jeûne" : mercredis 5 et 19 septembre + tous les vendredis.
"L'Envol des cigognes" : mercredis 12 et 26 septembre + mercredis 3 et 10 octobre + tous les jeudis.
Version intégral des deux spectacles : samedi à 16 h et dimanche à 13 h (entracte d'une heure entre les deux spectacles).
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 74 24 08.
>> theatre-du-soleil.fr

Safidin Alouache
Mardi 25 Septembre 2018
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