Danse

"Alegoría (El limite y sus mapas)"… Un flamenco à l'allure contemporaine

Pour la cinquième biennale d'art flamenco, qui se déroule du 3 au 18 février, en partenariat avec la biennale de Séville, le théâtre national de Chaillot accueille six spectacles. Ce rendez-vous, qui a lieu tous les deux ans, ouvre ses portes cette année à, entre autres, Paulo Comitre. En compagnie de Lorena Nogal, elles donnent à cet art un accent très contemporain.



"Alegoría" © Ivan Alcazar.
La lumière se lève sur un long voile bleu obscur qui recouvre toute la scène et où se détache un relief au centre. Celui-ci prend une forme de plus en plus compacte et de plus en plus libérée grâce au soulèvement qui en fait à l'arrière. Apparaissent recroquevillées entre elles Paula Comitre et Lorena Nogal qui s'en détachent.

La première, à seulement vingt-sept ans, est considérée comme une étoile montante du flamenco. Elle a tourné dans différents tablaos madrilènes et a réussi à s'imposer au XXIVe festival de Jerez avec sa première création "Cámara abierta". Elle a reçu le prix Giraldillo "Révélation" pour le spectacle "¡Fandango!" de David Coria et David Lagos. Pour sa deuxième création "Alegoría", elle a travaillé en compagnie de Lorena Nogal, danseuse-chorégraphe contemporaine. Cette collaboration apporte une couleur autre que Flamenca à la représentation.

C'est dans ce bout d'espace réduit - où étaient calfeutrées les deux danseuses - que prend forme une libération, autant corporelle que scénique. Cela débute par des sons bien agencés, légers, et bien rythmés, ceux d'éventails que les deux artistes ouvrent légèrement pour les refermer rapidement en les tapotant avec le bout des mains. C'est aussi ce long voile bleu obscur qui s'est levé d'elles et qui a des résonances aquatiques.

"Ariadna" de Rafaela Carrasco © Ana Palma.
Ces sonorités donnent une rythmique aux déplacements ainsi qu'à certaines opérations comme celle où Rafael Moises Heredia monte sa batterie. Il est aidé de Lorena Nogal qui tape sur un pandeiro avec une baguette. Cette poétique du son se poursuit et elle peut être beaucoup plus brutale quand dans un autre tableau, celle-ci tape sur un pandeiro que celui-ci tient au sol puis derrière un rideau. A lieu ensuite une sorte de combat sonore entre eux presque brutal.

Ainsi, la chorégraphie se construit autour de "bruits" musicaux, comme pour notifier certaines présences, humaines ou non humaines, de leur réalité. Ceux-ci accompagnent aussi les corps des deux danseuses aux mouvements tendus, assez vifs et secs dans une gestuelle des bras où les coudes, aux angles droits, dessinent des formes géométriques. Elles s'arrêtent aussi par intermittence comme pour statufier leurs gestiques pendant quelques secondes pour repartir ensuite. Nous sommes dans une gestuelle où l'arrêt devient presque un point de recueillement qui donne une consistance particulière aux déplacements. Ceux-ci semblent construits par l'attitude réfléchie, car posée, des artistes.

L'approche du spectacle est très originale car le flamenco, toujours très présent, est habillé d'autres éléments artistiques que ceux traditionnellement utilisés. Le contemporain fait un bout de chemin avec lui et la batterie a pris la place du cajon. La lourde robe ocre de Paula Comitre ou les sous-pulls gris ont supplanté les couleurs chaudes et les taconéos, éléments des plus importants, voire essentiels, restent discrets.

Tout est autour de la fable ainsi racontée et dans lequel une sonorité totalement originale apporte un autre souffle en accompagnement du chant et de la guitare. Pour celle-ci, le rythme reste très présent avec des accords d'un tempo toujours soutenu, mais discret dans une rythmique enveloppante.

Quelques scènes sont en rupture comme quand Tomas de Peratte chante d'un balcon situé en arrière-scène. C'est très théâtral et pourrait rappeler, de façon inversée, l'homme étant au balcon et la femme en dessous, Cyrano et Christian avec Roxane ou Roméo et Juliette. Sa voix gutturale apporte un souffle et une véritable chaleur, voire gravité, aux chorégraphies. Il y aussi un très beau tableau où, autour d'un cercle posé au sol, Comitre et Nogal dansent au travers d'une lumière. Cela ressemble à un joli clair-obscur qui tranche avec le reste du plateau.

Ainsi, le flamenco a sorti sa robe et son beau costume aux accents très modernes. Comme un appel à une fusion et, pourquoi pas, un mariage durable pour créer une autre danse.

"Alegoría"

"Ariadna" de Rafaela Carrasco © Ana Palma.
Direction : Paula Comitre.
Idées, mise en scène et chorégraphie : Paula Comitre et Lorena Nogal.
Artiste en collaboration : Lorena Nogal.
Collaboration chorégraphique : Eduardo Martinez.
Avec : Paula Comitre et Lorena Nogal (danse), Juan Campallo (guitare), Rafael Moises Heredia (percussions), Tomas de Perrate (chant).
Conseil à la dramaturgie : Tanya Beyeler.
Direction musicale : Jesús Torres.
Musique : Jesús Torres, Juan Campallo, Rafael Moises Heredia, Tomas de Perrate.
Regard extérieur : David Coria.
Lumières : Bernat Jansà.
Son : Angel Olalla/Gaspar Leal Baker (en alternance).
Costumes : Belen de La Quintana, Pilar Cordero, Marina Sanza.
Production Paula Comitre/Arte y Movimiento Producciones SL.
Durée : 1 h 05.

"Ariadna" de Rafaela Carrasco © Ana Palma.
Cinquième biennale d'art flamenco
Organisée en partenariat avec la Biennale de Séville.
Rafaela Carrasco, "Ariadna [al hilo del mito]" (première mondiale) : 3 au 6 février 2022.
Paula Comitre, "Alegoría" : 4 au 6 février 2022.
Florencia Oz/Isidora O'Ryan, "Antípodas" : 10 au 12 février 2022.
David Coria/Jann Gallois, "Imperfecto" (première mondiale) : 11 au 13 février 2022.
Farruquito, "Íntimo" : 16 au 18 février
 2022.
Rafael Riqueni, "Nerja" : 16 au 18 février
 2022.
David Coria, "Humano : 16 au 18 février
 2022.

Chaillot - Théâtre national de la Danse,
Salle Firmin Gémier, Paris 16e, 01 53 65 30 00.
>> theatre-chaillot.fr

Safidin Alouache
Mardi 8 Février 2022
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